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Fév. 6, 2019

Merveilleuses et Incroyables inventent le fashion-victime

Une toge transparente façon Rome antique dévoile les secrets de l’anatomie de Mademoiselle sous un chapeau immense, des bracelets d’or à ses chevilles. Appuyé sur sa canne, son pote prône l’oversize avec un panel d’accessoires, rien ne semble trop grand pour Monsieur. Les deux se marrent avec une espèce d’accent anglais. À les croire, la prononciation du « r » c’est pour les faibles. Non, tu n’es pas à la sortie d’un after bien arrosé aussi chic que sale de la fashion week, mais en 1795 dans les rues de Paris. Les Incroyables et les Merveilleuses sont la parenthèse de style folle qui trouve ses temps forts à la fin de la Révolution française, sous le Directoire.

 

Le 9 thermidore de l’An II, l’assassinat de Robespierre marque un tournant dans la vie politique française et parisienne : cette “réaction thermidorienne” entraîne l’adoption, en août 1795, de la Constitution de l’An III et la fondation du Directoire. Caractérisé par une vie politique ayant à son cœur le retour au pouvoir de la bourgeoisie, des décrets rendent leurs biens aux familles délestées de leurs richesses par la –feu– révolution. Le libéralisme économique restauré, les jeunes bourges, envahis d’un désir de bonnes grosses teufs, seraient, pour certains historiens, atteints “d’épidémie de danse”. La jeunesse dorée expulse les restes de sa peur et de sa frustration dans une catharsis démonstrative empreinte de frivolités, d’extravagances et de luxe. S’il est de rigueur de se montrer, c’est dans les nombreux bals et autres salles de jeux qui fleurissent dans la capitale… Reste aussi l’option balade sur les boulevards ou faire salon chez Madame. Parmi ces nouveaux espaces de vie, on trouve les jardins où ces jeunes gens aiment flâner et jouer, en particulier le jardin de Tivoli, entre le 66 et le 110 de la rue Saint-Lazare, lieu de rencontre des mondains.

 

 

 

« À huit heures, nous quittons les boulevards pour nous rendre au jardin de Tivoli, où, pour 6 francs, une fête charmante nous attendait. Les premiers pas que l’on fait préparent l’imagination à un “spectacle féerie”. Il fait obscur. On entend, sans la voir, une assez bonne musique. L’entrée est décorée de fleurs et de beaux orangers. Les ombres de la nuit, une faible lumière, rendent cette entrée mystérieuse : on devine à peine les objets, néanmoins, le parfum des fleurs vous indique un jardin. Peu à peu, le théâtre s’agrandit, on a quitté la faible lumière et on se trouve au milieu d’une société assez choisie et nombreuse, qui se promène de tous côtés dans les allées du vaste jardin. »

 

— Rudolf Samuel Karl de Luternau, Journal de voyage à Paris, 1810. Même avec 15 ans d’écart, la retranscription de l’émerveillement du luxe et de la fête se fait ressentir de façon palpable.

 

 

 

Bal champêtre au jardin de Tivoli (© Musée Carnavalet / Roger-Viollet)

 

 

Cette « société assez choisie » est composée de jeunes aristocrates tout juste ré-fortunés. Ces messieurs, appelés les Incroyables, voient leur surnom inspiré de leur expression fétiche « c’est incôyable, ma parole d’honneur! ». Pour ces dames, le surnom les Merveilleuses renvoie à ce même mot qu’elles affectionnent particulièrement et servent à toutes les sauces. Ceux-là arborent une mode qui affirme leur opposition à la Révolution et au jacobinisme encore ambiant à travers les mémoires des morts.

 

Les détails vestimentaires enchaînent les symboles comme Mohamed Ali les coups droits. Le bâton sur lequel s’appuient les Incroyables –qu’ils surnomment affectueusement leur « pouvoir exécutif »– sert d’arme; si jamais ils venaient à croiser un jacobin, celui-ci se verrait alors mettre une série de commotions sur ses idées anti-monarchiques. Si les cheveux sont relevés sur la nuque, c’est un rappel : celui des coupes de cheveux des condamnés à qui l’on dénudais le cou avant d’aller à l’échafaud. Traînant leurs pattes dans les rues d’un air mélancolique, comme en deuil, ce n’est pas la recherche du beau qui motive le garçon dans le choix de son habit, mais l’intention de faire ressentir au monde ô combien l’Histoire l’a disgracié et combien il porte sur son dos le poids de sa souffrance. Quant aux femmes, elles portent les cheveux relevés ou courts, façon Marie-Antoinette dans ses dernières heures, une coiffure que l’on qualifiait d’à la victime ou à la Titus. Leurs robes, au-delà d’un petit clin d’œil aux grecs, évoquent les chemises des femmes emprisonnées. Ces robes dites à la désespérée sont entourées d’un fin ruban rouge, une autre allusion à la guillotine. Autant dire que ça fleure bon le traumatisme.

 

 

Le deuil est omniprésent.

 

 

Dessin de H. Baron, gravure de L. Massard, issu de “Les Français sous la Révolution”, Challamel & Tenint, 1843.

 

 

Les Incroyables et les Merveilleuses se retrouvent dans ce qu’ils appellent les « bals des victimes », un titre prometteur de grosse ambiance. Ces soirées, qui n’existèrent en réalité qu’un temps assez court, sont réservées exclusivement à ceux dont les familles avaient été trainées pieds et poings liés sur les pavés de la révolution. Un père, une mère, un oncle… tout est bon pour rentrer dans le club et faire valoir son sang bleu! Une de ces fêtes eut lieu dans l’hôtel Thellusson qui se trouve dans l’actuelle rue de Provence à Paris, un des grands lieux de mondanité de l’époque 1797.

Les danseurs s’y saluent d’un coup sec de la tête –une imitation des caboches tombant sous le coup de cette bonne vieille guillotine– affectant une élégance démesurée à ce salut  “à la qui-feindrait-la-mise-à-mort-la-plus-chic”. Les sorbets et les liqueurs dégoulinent entre deux danses, on pleure ses parents et on se lève tout guilleret inviter sa cavalière.

 

 

 

 

 

 Pour les Merveilleuses et les Incroyables, le trauma post révolution, c’est comme les motifs chez Desigual : toujours trop, jamais assez! Non contents d’affoler les protecteurs du bon goût par leurs accoutrements, ils s’attaquent aussi au langage, si si. Mais pourquoi délaissent-ils (ou accentuent-ils) ce « R »? C’est qu’il leur rappelle cette horrible révolution qui « leur à fait tant de mal », proclament-ils dès qu’ils en ont l’occasion. Il s’agit pour la jeunesse dorée de réaffirmer sa particularité et sa classe sociale à travers des modes, des rites, dans lesquels ils se vautrent avec orgueil, suscitant le rire des passants et le regard des curieux qui achètent les très nombreuses caricatures qui se développent autour de ces jeunes débauchés.

 

Parmi eux, Joséphine de Beauharnais est admirée par le tout Paris pour sa grâce et sa gentillesse malgré la légèreté de sa conduite. La jolie José fait salon avec son amie Madame Tallien, femme d’influence, grande mondaine et Merveilleuse de l’époque, considérée par ses détracteurs comme « la plus grande catin de Paris ». C’est dans ces salons que se fera remarquer un certain Napoléon, qui, après avoir encaissé un refus de Madame Tallien, épousera Joséphine le 9 mars 1796. Pour l’anecdote, le bougre était déjà fiancé à Désirée Clary, une amie de longue date qu’il délaissa pour les beaux yeux de Joséphine. Il s’en justifia dans une de leurs correspondances par ces mots :

 

« Tel est l’empire du temps. Tel est l’effet funeste, infaillible de l’absence. »

Avis aux incompétents de la rupture, ça peut inspirer.

 

 

 

Madame Tallien par François Gerard, 1804. Coiffure à la victime.

 

 

 

Avec le temps et le sacre de Napoléon, la mode s’essouffle. Le nouvel empereur fini par délaisser Joséphine et la capitale en s’embarquant dans des campagnes européennes; elles vont l’emmener jusqu’au bout de la Russie et causer sa perte. À Paris, même si le style des Merveilleuses et des Incroyables tend à s’éteindre, le vêtement marquera toujours l’appartenance à une hiérarchie sociale. Les sans culottes de 1789 se démarquaient des bourgeois par leur refus de porter la fameuse “culotte“, les inscrivant dans la catégorie socio-professionnelle liée aux Tiers États. Outre les codes vestimentaires sociaux classiques, l’outfit révolutionnaire, le vrai, l’incontesté, est relevé d’un bonnet phrygien. Et si les grands de ce monde dépensent, s’endettent et se ruinent dans une folle course au paraître, c’est la crinoline et “la mode ronde” qui vont s’imposer pour les dames vivant dès le siècle suivant, dans un contexte pourtant instable politiquement. Depuis la liberté de l’habillement décidé par la loi de 1793, l’excentricité est recherchée et se développe en une véritable industrie prospère qui fait de Paris sa notoriété actuelle, celle du prêt-à-porter et de ses créateurs.

 

 

L’habit est politique même s’il ne fait pas le moine.

 

 

 

Les Merveilleuses, estampe de Carle Vernet, 1797 – source : Gallica-BnF
Image de couverture issue de “Les Physionomies du jour”, estampe de Thomas-Charles Naudet, 1798 – source : Gallica-BnF

 

 

 

Texte Anna et Adèle.

 

 

 

 

 

 

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