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Mar. 31, 2017

Maxime Cochard – Cette Infortune

Photo prise par Adeline David

 

 

 

Parce que chez Mauvais on est toujours à l’affût de nouvelles sensations, surtout lorsqu’elles sont l’oeuvre de figures encore émergentes, nous avons été conquis par le tout premier roman publié par le jeune auteur Maxime Cochard : “Cette Infortune”. Embarqué dans la première personne d’un jeune provincial ambitieux qui décide de conquérir Paris en y louant son corps à des hommes d’âge mûr, ce récit d’apprentissage marque autant par sa description clinique du sexe tarifé et des arcanes du pouvoir que par l’audace de son style et son humour grinçant. Nous avons rencontré son auteur, qui se présente en premier lieu comme un militant communiste, pour discuter autour de son livre (et d’une bouteille de rouge).

 

 

Bonjour Maxime. Ton premier roman, Cette Infortune, parle d’argent et de sexe, et son personnage principal se prostitue. Même si tu te gardes de tout jugement moral, positif ou négatif, sur la prostitution en tant que telle, il est difficile de ne pas y voir une métaphore sur le fonctionnement de notre monde…

 

Mon point de départ, c’est que quand on est un jeune homosexuel aujourd’hui, la prostitution est quelque chose de très présent, surtout quand on aspire à sortir de son milieu d’origine. Dans mon roman, ça se traduit par l’irruption nocturne de ce site internet dans la vie du héros ; je me suis inspiré d’un site allemand bien connu, qui existe vraiment. La prostitution dans le milieu gay, on ne peut pas faire comme si ça n’existait pas. J’ai croisé énormément de gens qui sont passés par là, c’est une réalité et elle n’est pas marginale. Ensuite, le roman ne prétend prendre parti ni « pour » ni « contre » la prostitution, et ne cherche ni à démontrer que c’est un calvaire, ni au contraire que c’est absolument génial et qu’il faudrait libéraliser, légaliser, etc. Je ne rentre pas dans ce débat-là. En revanche, il y a la question de l’argent. C’est la question centrale. On est dans une société où, lorsque l’on est un jeune, on est complètement subjugué par l’argent : on nous propose l’argent comme étant le seul vecteur possible d’une émancipation, d’une réalisation de soi. Et il va falloir que le héros se sorte de cet enfermement dans le primat de l’argent comme clé d’accomplissement existentiel. Ça va être sa quête, que de sortir de cette aliénation-là.

 

 

Là où la société nous présente la réussite économique comme la garantie des plaisirs et du bonheur, tu montres l’exact opposé : plus ton personnage se rapproche de l’argent, moins il semble en mesure de réaliser ses désirs…

 

C’est tout le propos du roman. La richesse qu’on nous présente comme la condition d’accès à la liberté, à la réalisation de soi, c’est quelque chose qui va nous bloquer, peser sur nous et nous fermer des possibilités. Le héros va l’éprouver à travers sa quête : plus il va fréquenter des gens fortunés, plus il va s’apercevoir que ces gens sont malheureux. Je crois que lorsque l’on est riche et que l’on a tout à portée de main, il n’y a plus de frustration, ni donc de désir, ni de valeur pour rien. Rousseau l’écrit : « Malheur à qui n’a plus rien à désirer ». C’est une vérité très forte. Quand on n’a pas beaucoup d’argent, on veut absolument en gagner plus, et on rêve de richesse et de liberté. Mais quand on croule sous le fric, il y a une sorte de dépression qui s’installe, qui pourrit tout, qui éteint le désir.

 

 

Ce qui entre en résonance avec le titre : en définitive, « Cette Infortune » en dit moins sur la condition du narrateur que sur la condition de son épanouissement.

 

Absolument. « Et libre soit cette infortune », c’est le vers de Rimbaud que j’emprunte. Cela veut dire que lorsque l’on a fait le deuil de l’argent et de la fortune, lorsque l’on accepte de ne jamais gagner au loto et qu’on pense même que c’est très important de ne pas jouer au loto, que l’on s’interdit de jouer au loto parce que le jour où l’on gagne, c’est le début des malheurs, c’est là que l’on devient libre. Cette fameuse « Infortune », c’est la liberté.

 

 

Le personnage principal de ton roman est homosexuel, et pourtant tout au long du livre, où le sexe joue un rôle important, il y a comme une impossibilité à concrétiser ce désir homosexuel. C’est un désir sans cesse frustré, ses rapports homosexuels ont lieu soit avec des clients, soit en fantasme.

 

C’est tout à fait vrai. Pourquoi mon personnage a-t-il tant de mal à réaliser son fantasme homosexuel ? C’est un personnage qui se sait attiré par les garçons, mais qui en même temps commence sa sexualité par des messieurs assez âgés qui ne l’attirent pas, ce dont il ne fait pas mystère. Pour lui, ce n’est pas du tout une catastrophe ni même une épreuve d’avoir ces relations sexuelles tarifées, mais enfin il n’en retire aucun plaisir véritable. Sinon le fait de gagner de l’argent, et donc d’assouvir des ambitions qui n’ont rien d’érotique. Mais en effet ce registre du fantasme et des garçons qui restent inaccessibles est un peu le leitmotiv.

 

 

 

 

 

 

Il y a donc une différence entre son identité sexuelle et sa pratique concrète du sexe. Il s’agit d’un personnage homosexuel, sans aucun doute, mais qui pourtant est conduit à coucher avec une fille, d’ailleurs la plupart des rapports non-tarifés sont hétérosexuels. Il en découle que l’identité et la pratique sont deux choses différentes.

Son homosexualité est surtout fantasmatique, elle n’est pas réellement vécue, elle est entravée. Dans sa petite ville de province, il est homosexuel parce qu’on l’assigne à cette place-là. Il a énormément de désir homosexuel, et du coup il se lance à fond dans la comédie de l’homosexuel. Et puis il se rend compte que ses amies filles lui plaisent aussi, chose qui était auparavant un peu étouffée. Sans doute, au contact de ces messieurs plus âgés, il se rend compte qu’il a moins besoin de jouer l’homosexuel, et qu’il peut être plus attentif à cet autre désir pour les filles. Et ça, c’est un peu le personnage qui me l’a dicté.

 

 

Je ne l’ai pourtant pas lu comme ça. Je l’ai lu comme un personnage qui expérimente le sexe avec les filles sans pourtant s’y intéresser plus que ça.

 

Pourquoi pas, il y a là-dedans quelque chose de ludique en effet. Sachant que les choses évoluent au cours du roman, mais je ne veux pas en dévoiler davantage.

 

 

Parlons un peu de ce personnage féminin, Lila. C’est un peu l’archétype de « la best », qui joue un rôle de miroir. Pourquoi avoir voulu le faire sortir de ce rôle généralement fonctionnel ? C’est le principal personnage féminin…

 

C’est effectivement ce que l’on appelle une « best ». J’ai très souvent remarqué chez les jeunes homos que j’ai fréquenté qu’il y avait cette meilleure amie féminine, qui permettait au jeune homme de construire son homosexualité avec un regard bienveillant, en passant quand même par la différence des sexes. Peut-être peut-il, à travers cette relation très particulière avec son amie fille, avoir des discussions sur les garçons, tresser leurs désirs ensemble, et sans doute vivre une hétérosexualité refoulée. Il s’agit d’une forme de couple, souvent très fusionnel. On est dans ce type de relation. Mais avec une étape supplémentaire. Là, comme le garçon de café de Sartre qui joue à être le garçon de café, lui joue à fond à être l’homosexuel, il se fait emmerder par les garçons, se fait traiter de pédale, et l’assume : il est une pédale. Lila va le conduire à évoluer…

 

 

Quelle est ton opinion sur des mouvements comme le FHAR, ou d’autres mouvements notamment étasuniens, qui pouvaient prôner dans les années 60-70 une jonction entre « déviance » sexuelle et rébellion politique ?

 

Ça a été important dans ma formation personnelle de lire ce que le FHAR et tous les types de militants homosexuels ont pu écrire. Ils ont mis en place quelque chose de puissant pour qu’il y ait une reconnaissance de la question gay, une assomption, ils ont milité pour la première fois et ont mis à l’agenda la question des minorités sexuelles, c’est précieux, indispensable. Et ça nous constitue tous d’une certaine façon. C’est un combat dont nous sommes tous les héritiers, y compris les hétérosexuels, ainsi que tous les révolutionnaires. De même pour le féminisme, etc. Ensuite, j’ai été très intéressé par leur discours et leur ambition déconstructrice, mais je ne suis pas sûr qu’ils mariaient tant que ça leurs revendications homosexuelles et émancipatrices pour les minorités, et l’ambition révolutionnaire. Je ne crois pas que le simple fait d’appartenir à une minorité sexuelle soit en soi révolutionnaire, je crois que c’est faux de faire croire cela. Je pense qu’ils étaient bien davantage des militants gays que des militants révolutionnaires. D’ailleurs on voit bien qu’il y avait de la friture entre d’une part le FHAR, les Gazolines, les Gouines Rouges, et d’autre part ce que j’appelle le mouvement révolutionnaire : la CGT, le PCF. Ils ne s’aimaient pas, se détestaient quelquefois. En même temps, d’autres personnes ayant vécu ces années-là m’ont dit que ces tensions sont montrées de manière caricaturale, et qu’une réelle solidarité pouvait exister entre les différents mouvements. Que des gars de la CGT pouvaient défendre des pédés qui se faisaient molester en manif. Je n’y étais pas. Mais j’ai l’impression que la CGT et le PCF avaient des mots d’ordre pas compatibles avec les aspirations des minorités sexuelles, et de l’autre côté le FHAR, les Gouines Rouges qui se plaisaient à faire chier le PCF et la CGT en les traitant de gros réacs.

 

 

Sur un plan plus littéraire, le roman oscille entre le classicisme d’un genre identifiable et des incursions dans quelque chose de plus moderne dans certaines séquences, qu’il s’agisse des conversations virtuelles au début du texte, ou encore cette scène fantasmée où le narrateur est confronté à des contradicteurs au sujet de la nature même du livre, sur le plan littéraire.

 

Quand j’ai écrit ce texte, je me suis rendu compte assez tôt de son relatif classicisme, et ce n’était pas mon projet. Si c’est pour écrire le même bouquin qui est déjà disponible par centaines d’exemplaires dans chaque librairie, ça ne vaut pas la peine. Il ne faut pas que ce soit du Balzac, il l’a déjà fait avant et il écrit mieux que moi. C’est en imaginant cette scène, qui prend la forme d’un compte-rendu d’une séance de l’Assemblée Nationale, qui aurait été transformée en une sorte de tribunal littéraire, que je me suis dit que je tenais la proposition innovante de mon roman. Pourquoi ? Il s’agit d’une mise en abîme, on sort de la narration à proprement parler pour rentrer dans une méta-narration qui porte sur le roman lui-même, sur le genre littéraire : que doit faire le héros ? Que doit faire l’auteur lui-même ? À ce moment-là, mon livre s’adresse à moi, m’interpelle et me prend à parti. C’est une tentative de faire un « trou » dans le roman.

 

 

Je voudrais en revenir à toi : la démarche du militant, celle de l’écrivain. Je sais que tu as écrit des textes encore moins explicitement militants que celui-ci. Qu’est-ce que chaque activité a de spécifique ?

 

Quand on écrit un texte politique, on essaie de toucher au plus proche des besoins des gens, d’aller directement au but, de toucher en plein cœur. Vous avez un problème de logement ? On explique les causes et on propose nos solutions. Le roman, c’est exactement l’inverse, on va d’abord perdre le lecteur. On va l’emmener dans une fiction, lui tendre des pièges, l’égarer, construire un théâtre, faire régner le faux pour, avec le dard final, essayer de transmettre quelque chose qui relève de la vérité. L’activité politique a en partie nourri le bouquin, notamment mon expérience à l’Assemblée. Inversement, l’activité littéraire peut nourrir la pratique militante. Là, je suis candidat aux législatives, et je sais bien que ce n’est pas pour être le député que je décris dans ce bouquin…

 

Merci beaucoup !

 

Merci à toi !

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