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PLAY. Rencontre avec la réalisatrice de Playlist : Nine Antico. PAUSE.

Bédéaste qui a affirmé avec style les cheminements émotionnels hasardeux féminins dans ses ouvrages (Coney Island Baby, 2010, Girls Don’t Cry, 2010, Autel California, 2014 et 2016, America, 2017), Nine Antico présente un premier long-métrage, Playlist, en juin 2021. Son écriture et sa patte sont ici encensées dans un film « plus ultra personnel qu’autobiographique », dans lequel la réalisatrice condense sa grande culture musicale et cinématographique, mais aussi sa capacité à raconter l’étroite frontière entre le spleen et une confiance aveugle en la vie. Nine Antico transforme la banalité du visible en beauté, et fait de la beauté une évidence dans son oeuvre, Mauvais lui a posé quelques questions… 

Extrait de America

Comment as-tu vécu et initié cette transition de la BD au cinéma, dans l’esthétique et la rédaction ?

Je suis venue à la bande dessinée de manière autodidacte mais j’ai d’abord développé une passion pour le cinéma. Je dessinais déjà depuis toute petite mais c’est en m’imaginant séquencer mes dessins comme pour faire un film que j’ai commencé à composer mes BD. C’est venu aussi parce que des souvenirs de mon adolescence ont émergé, des souvenirs où je dessinais beaucoup. Je fermais les yeux et j’imaginais littéralement un film de mes dessins, donc les deux, BD et cinéma ne se sont jamais vraiment quittés. Je me suis aussi beaucoup cherchée. Pendant longtemps, même si j’aimais dessiner les femmes, les visages etc, il n‘y avait pas véritable sens dans ce que je dessinais. 

Mais c’est mon goût pour le cinéma qui m’a menée vers la BD. Quand j’avais 16/17 ans, j’ai plongé dans le cinéma américain grâce à la collection de cassettes de mon père et j’ai eu un véritable déclic face aux films avec Marlon Brando comme Un tramway nommé désir (1951) de Elia Kazan. J’ai commencé à me plonger dans la cinématographie de cette époque. J’ai même fait un an de cinéma à la faculté de Saint-Denis. Ensuite je me suis réorientée vers un cursus dessin pour approfondir mais ça n’a pas du tout marché. Donc j’ai commencé à travailler dans le cinéma à des postes exécutifs, à l’époque ma culture était davantage constitué de films et cinéastes que de BD et dessinateurs. 

La BD, je l’ai découverte quand j’avais 20 ans grâce à des auteurs comme Daniel Klaus. J’ai vu l’adaptation de sa BD Ghost World au cinéma et ça m’a bouleversée ; Charles Burns qui est dans un registre qui frôle l’horreur ou encore Robert Krump qui s’inspire de la culture populaire américaine. Blutch et Ludovic Dedeurne aussi. Et en terme de cinéma, j’étais autant intéressée par des films populaires que des films de Scorsese, des films de Pialla, Jacques Rovier, je les mets tous au même niveau. 

Ce sont les producteurs qui m’ont proposé d’adapter une de mes BD au cinéma et j’ai préféré écrire un scénario original donc j’ai commencé à écrire ce qu’est devenu Playlist. J’ai écrit le scénario puis j’ai fait un storyboard très rapidement, j’avais vraiment envie de filmer tout ce que j’avais écrit. 

Sarah Forestier et Laetitia Dosch

Laetitia et Sarah ont porté le film très très haut, c’est leurs personnalités et leur vivacité qui ont fait décoller le projet

Est-ce que ces influences t’ont inspirée dans le choix du noir et blanc ?

J’ai toujours aimé le noir et blanc même dans la BD. Je trouve qu’il y a une vraie force graphique qu’on peut perdre avec la couleur surtout au cinéma quand elle n’est pas maitrisée. C’est un vrai travail de lumière, de déco et de repérage. Donc c’était un choix esthétique et pratique. Faire ce film et en voir d’autres comme Frances Ha ou Mes provincales m’a confirmé que l’on pouvait faire des choses belles et modernes. 

Playlist semble être autobiographique, comment était-ce de rechercher une actrice pour jouer le rôle de Sophie qui a une trajectoire similaire à la tienne ? 

Le film est plus ultra personnel que autobiographique dans le sens où aucun personnage ne ressemble à quelqu’un que j’ai vraiment connu. C’est un mélange de plein de rencontres et d’éléments que j’ai empruntés à ma vie personnelle, les sources sont donc de moi mais je n’ai pas la même histoire que celle du personnage principal, c’est un puzzle. 

Pendant l’écriture j’essayais de réfléchir à une actrice mais je n’y arrivais pas du tout. Surtout parce que je voulais garder de la distance pour rester concentrée sur mon écriture. C’est vers la fin, quand on était au stade de la recherche de financements et de la production du film que je me suis vraiment posé la question. Il fallait que ce soit quelqu’un auquel je puisse m’identifier, dans ce que la personne dégageait physiquement et mentalement. Donc je n’avais pas énormément d’options.

Pour moi la musique est comme une autre voix-off, elle raconte autant que le reste ce que ressent Sophie. Et dans sa vie justement, la musique est la seule chose stable sur laquelle elle peut compter. Elle cherche du réconfort ailleurs mais la musique ne la quitte jamais.

Nine Antico, photographiée à Paris le 8 mai 2021 par Mathieu Zazzo

Comment s’est passée la rencontre avec les actrices, Laetitia Dosch et Sarah Forestier ? 

Laetitia connaissait déjà mes BD, elle m’avait écrit sur Instagram et ça tombait pile au moment où on commençait le casting. On s’est rencontrées et on s’est tout de suite bien entendues ! Je trouvais que Sarah était un choix évident pour le rôle et je voulais trouver quelqu’un de moins attendu et je me suis finalement laissée aller à cette évidence, c’était une chance qu’elle adhère au scénario. 

Les deux actrices ont une grande vivacité et un franc-parler qui font qu’elles n’ont pas du tout peur des mots ou de ce qu’on peut penser d’elles. Elles ne cherchent pas à correspondre à un schéma d’actrice ou à rentrer dans un moule. Elles se sont toutes les deux approprié le scénario, on sentait que Sarah avait envie de jouer Sophie à 300%. Elles ont porté le film très très haut, vu que c’est écrit comme une chronique, ça aurait pu être plat mais elles ont vraiment fait décollé le projet. 

On te questionne beaucoup sur l’aspect féministe et féminin de vos oeuvres, sommes-nous sur la bonne voie pour que le genre ne soit plus un critère dans l’oeuvre mais une formalité ? 

Je pense qu’on est sur la bonne voie est en même temps il va falloir attendre de voir si tous ces prix et ces nominations, toute cette attention ne sont pas qu’une façade. Il faut aussi qu’au sein des institutions et des comités cela se féminise, que ça ne soit pas juste une étincelle qui manquerait de profondeur. On me parle encore beaucoup de ça mais je fais comme si ces remarques n’existaient pas, parce qu’elles m’énervent.

 

Penses-tu qu’aujourd’hui on ait compris votre travail ? 

Playlist a eu plus de répercussion que mes BD, et comme le reste de mon travail il a un côté féministe. Mais le jour où on n’aurait plus besoin de dire que c’est féministe, on aurait fait des progrès. C’est un film réel avec des personnages de la vie de tous les jours, qui vivent à notre époque, tout simplement. Et je pense qu’on n’a plus l’habitude de voir des gens ordinaires. 

Nine Antico et la Chef op de Playlist, Julie Conte

Choisir des artistes de la scène indé comme Dame Area en sachant que leur musique va raisonner dans des cinémas Pathé, c’est un parti pris ?

Pour moi la musique est comme une autre voix-off, ça raconte autant que le reste ce que ressent Sophie. Et dans sa vie justement, la musique est la seule chose stable sur laquelle elle peut compter. Elle cherche du réconfort ailleurs mais la musique ne la quitte jamais. J’avais à coeur de mettre des morceaux que j’au écouté en boucle et qui ont été pour moi des bouffées d’oxygène, c’est génial d’avoir pu partager ça et d’inclure ma playlist dans le film. C’était un vrai privilège d’accrocher à des images que j’ai écrite mes titres fars. J’ai un peu fait ma propre boom avec cette BO. Et en général tout le film s’est fait avec des gens ou des éléments très proches de moi. La chef op est une amie à moi, la monteuse aussi, la décoratrice est une amie d’enfance. Je me sentais bien sur le film aussi grâce à cet environnement familier. 

 

Peux-tu nous raconter un coup de foudre qui t’a marqué ?

Souvent dans ces coups de foudre il vaut mieux rester dans son fantasme que d’être déçu en essayant de faire rentrer un rond dans un carré. Mais pour le coup une des plus belles rencontres que j’ai eues et qui a été un vrai déclencheur dans ma vie m’a poussée à avoir ce genre d’élan et de tenter ma chance. Je devais avoir 17 ans et ma prof d’histoire-géo nous a beaucoup encouragés à profiter de la gratuité des musées, à la proximité du Louvre etc. Donc je prends le RER et je vais au Louvre. Je me pose devant le Radeau de la Méduse pour dessiner sur mon carnet et il y avait ce gars à côté de moi, je ne voyais pas son visage mais je voyais qu’il dessinait aussi. Quand j’ai relevé la tête j’ai eu l’impression de faire des kilomètres tellement c’était interminable et je l’ai trouvé assez beau. Il s’appelait Allan et c’est la première fois que j’ai pu vraiment mettre à profit mon anglais parce qu’il venait de Brooklyn. Il m’a raconté sa vie à travers les dessins de son carnet et on a discuté pendant 45 minutes. Il m’a donné plein de références musicales, des artistes que j’écoute encore aujourd’hui. Ça a vraiment été un déclic pour moi, de l’ouverture que m’a apporté ce trajet super simple au Louvre en RER. Après il a disparu de ma vie et on ne s’est même pas dragué mais c’est à ce genre de rencontre inspirante qu’on s’attend dans la vie. 

En quoi es-tu Mauvaise ? 

Je peux m’emporter assez vite, j’ai une agressivité latente en moi que j’essaye de tempérer surtout au quotidien. Quand j’ai l’impression que c’est trop lent, je m’énerver. Je suis assez mauvaise là-dessus, sur la patience. 

Aficionada de musique underground et de rock, Nine Antico nous a fait le plaisir de sélectionner 5 titres de sa playlist du dimanche, posée sur un fauteuil grenouille après une bonne partie de Kem’s, découvrez ses pépites :

Kiss the Screen de Nite JewelHey Cowboy de Lee HazlewoodManhattan de Cat Power Plea for Tenderness de Modern LoversAmarsi un po’ de Lucio Battisti

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Nov 2021

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