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Sexe et Aliens : « Comment les extraterrestres font-ils l’amour » ?
Ce matin, on a tout juste fini la lecture du mémoire qu’un ami a fait publier chez l’Harmattan : L’extraterrestre face au féminin/masculin, de Georges Pillegand-Le Rider.
Georges y étudie les corrélations entre la représentation des extraterrestres et la remise en question des genres. En d’autres termes, il montre les possibilités de déconstruction des codes du genre qu’offre le contact extraterrestre dans les fictions, notamment à travers la figure du « troisième type » qui permet la remise en question de la binarité féminin/masculin.
En bref, une grande lecture.
Nous avons décidé de vous en faire un mini-résumé tout en biaisant légèrement sa réflexion, mais que cela ne vous dispense pas de le lire bien sûr. Car en refermant le livre, tout excités, une question nous est restée en tête, insistante et obsessionnelle : mais comment diantre les extraterrestres font-ils l’amour ?
Évidemment, le mémoire de Georges pousse le raisonnement bien plus loin. Il s’attaque à des œuvres américaines que vous connaissez sûrement : les films Mars Attacks! de Tim Burton, L’homme qui venait d’ailleurs avec David Bowie et le roman d’Ursula K. Le Guin, La main gauche de la nuit, afin d’y mettre en lumière les différentes représentations de la déconstruction du féminin et du masculin.
Pour Georges : « La figure extraterrestre est un vecteur idéal de l’idéologie queer, puisque de la même manière son identité présente une certaine fluidité, une capacité à se multiplier et se diversifier »[1].
Dans son bouquin, il interroge des concepts super intéressants comme le « Moi-peau » : une théorie selon laquelle l’humain se construit en considérant sa peau comme limite, la peau étant une frontière entre son Moi et l’espace. On pense alors au film Under the skin¸ dans lequel Scarlett Johansson (alerte spoiler !) finit par arracher sa peau d’humain pour dévoiler sa vraie nature… d’extraterrestre.
Il parle aussi d’une notion vachement stylée : la « performance ». La performance regroupe toutes les actions que l’on pratique de manière volontaire en imitant des gestes, un peu comme sur une scène de théâtre. Parmi les 8 performances de la vie de tous les jours, il y a : l’art, le sport, le divertissements, le monde des affaires, la technologie, les rituels sacrés, le jeu et… le sexe !
C’est alors qu’une question triviale mais existentielle nous est apparue : est-ce que les extraterrestres reproduisent une performance sexuelle à la façon des humains ? ou bien est-ce qu’ils ont leurs propres moyens de forniquer ? Si oui, lesquels ?
Bien entendu, nous ne parlerons ici que de représentations, sauf si quelqu’un a déjà surpris deux aliens en pleine action… nous sommes ouvert·es à vos témoignages (mauvaiscontact@gmail.com).
Mais avant toute chose, interrogeons leur forme.
Généralement, quand ils ne sont pas de petits hommes verts, les extraterrestres sont souvent visqueux (comme dans le fameux film Le Blob), ou de forme indéfinie, et parfois même invisible à l’œil humain (Planète interdite). S’ils ne sont pas non plus des monstres (The Host, Monsters, Predator, et j’en passe), ils prennent une forme humaine, et notamment souvent celle d’une femme fatale (retenons ici J’ai épousé une extraterrestre, Under the skin, Mars Attacks!) ou celle d’un homme sulfureux (comme David Bowie dans L’homme venu d’ailleurs), reproduisant ainsi la performance des codes genrés de notre société.
Dans Under the skin, un film merveilleux tourné du point de vue d’un extraterrestre, l’alien séduit les hommes pour les faire mystérieusement disparaître dans une sorte de liquide obscur qui ralentit les mouvements et dissout les formes.
Mais l’alien-Scarlett, devenu trop humain, décide de ne plus respecter sa mission et se fait aider par un homme avec lequel elle tente de pratiquer la performance de la pratique sexuelle humaine. C’est alors qu’effrayée, elle comprend qu’elle a une vulve… Dans ce film, donc, l’alien reproduit la performance humaine. En bref, rien de nouveau sous le soleil.
De même, dans les films Alien, les extraterrestres ont besoin des humains pour pondre leurs œufs. Le sexe comme plaisir n’est jamais évoqué, et semble se résumer à une forme utile de reproduction mécanique dont les humains sont les réceptacles.
Mais on imagine (quasi) toujours les extraterrestres comme technologiquement plus avancés que nous ; peut-être ont-ils donc des formes de sexualité plus avancées ?
À la fin du film Monsters, les aliens semblent s’accoupler en direct devant nos yeux : ils entrecroisent leurs tentacules, par lesquelles s’opère une sorte de communion ondique. Les sons qui jaillissent des bêtes sont calmes, profonds, sensuels, et la couleur rouge qui passe de l’un à l’autre pour atteindre leur cerveau ne laisse aucun doute sur la nature de leur fusion. Scène d’amour et de plaisir, ici les extraterrestres transcendent leur forme monstrueuse pour se rapprocher d’une humanité inattendue.
Dans Mars Attacks! de Tim Burton, les extraterrestres n’ont pas d’appareils génitaux, de même que dans La main gauche de la nuit (à lire urgemment !). En effet, dans le roman d’Ursula K. Le Guin, les Gethéniens ne possèdent pas de sexe, à l’exception de quelques jours par mois, lors de leur « pause kemmer , où ils acquièrent des attributs féminins ou masculins – en fonction des Gethéniens qui les entourent et de la façon dont leurs hormones respectives interagissent – et peuvent alors se reproduire.
Le sexe devient un outil de reproduction où le plaisir est contrôlé. Cela permet à l’autrice de déconstruire les clichés sur l’hétérosexualité et l’homosexualité, puisque les Gethéniens sont tous des êtres hermaphrodites. A leur contact, le narrateur – un mec cis – va remettre progressivement en question sa masculinité et son orientation sexuelle. Par leur nature biologique même, les Gethéniens rendent caduc les principes du genre et de l’orientation sexuelle – en bref, tout le cistème hétéronormé.
En outre, dans cette société Gethénienne – qui, par bien d’autres aspects sociaux, est très loin d’être une société idéale – l’accès au sexe est un droit naturel et irrépressible. Ainsi, toute personne peut accéder, pendant son kemmer, à des établissements spécialisés où le sexe est libre et gratuit pour tous, même pour les individus plus marginaux.
Ici, l’absence de sexe n’est donc pas un outil de domination et les violences sexuelles n’ont plus lieu d’être. La réflexion d’Ursula K. Le Guin sur le sexe extraterrestre questionne nos propres pratiques tout en critiquant la culture du viol et notre cistème hétéronormé – et ce, dès les années 60 !
Mais qu’est-ce que le sexe-extraterrestre sinon le reflet de nos angoisses, et surtout de nos fantasmes ?
Combien de films, de mangas, de sites porno matérialisent le fantasme de coucher avec un alien ? Des pieuvres aux femmes démoniaques, du viol d’extraterrestre beau-gosse – Soumise à l’ultra, d’Ana Scott, une perle de la littérature érotique ! – au monstre sensuel de La forme de l’eau, de Guillermo Del Toro… toutes ces représentations caressent un fantasme d’inconnu, d’ailleurs, d’interdit.
La performance sexuelle liée à l’extraterrestre – que l’on retrouve par exemple dans la série Sex Education, ou encore de façon cauchemardesque dans le film de Leos Carax Holy motors – est le lieu du fantasme de l’étrange, du visqueux. Attirant et répulsif, cet imaginaire joue avec nos limites, interroge notre bestialité, notre propre monstruosité.
Il n’est pas étonnant de retrouver dans le film Nowhere de Gregg Araki – arrêtez tout et courez le voir si ce n’est pas déjà fait ! – une extrême contiguïté entre la sensualité des personnages, leur étrangeté et ce corps qui se change, explose en un monstre juteux et inhumain.
Le sexe extraterrestre choque, indigne, bouleverse. Dans Prometheus, qui devait à l’origine s’appeler Alien Zéro, une des scènes coupées représentait la venue au monde du premier hybride alien, jaillissant du corps du héros lors d’un combat extatique : une naissance véritablement orgasmique. Pas étonnant que Ridley Scott ait préféré couper cette scène…
Passer par l’extraterrestre autorise diverses formes de sexualités, dont certaines décalées et marginales : les pratiques SM, les partouzes… dans La main gauche de la nuit, par exemple, l’inceste n’est pas proscrit, tant que ne naît pas d’enfant. Penser le sexe extraterrestre, nous libère des carcans du normal et nous ouvre les portes du possible.
Malheureusement, les fantasmes et les extraterrestres sont deux choses qui nous effraient. Elles nous confrontent à l’inconnu qui est en nous et à celui que nous sommes dans ce vaste univers intergalactique.
De plus, pour Georges, « La conquête spatiale, n’est qu’une reproduction du schéma de domination phallique de l’homme terrien : fasciné par ce qu’il peine à comprendre et considère comme étranger à lui, il cherche à en appréhender les moindres mécanismes, pour retrouver sa position dominante et de porter alors sur une autre minorité, une autre marginalité à appréhender »[2].
Il est bien triste de voir que l’homme, et les artistes, ne se laissent pas un peu plus aller aux doux mystères de la sexualité extra-terrienne et aux possibilités infinies qu’elle offre. Soyons plus ouvert, soyons plus mauvais.
L’extraterrestre face au féminin/masculin, de Georges Pillegand-Le Rider (L’Harmattan), 2021
Pour en savoir plus, c’est par ici. Et courrez voir notre interview du 77, qui donnent leur avis sur le sexe-extraterrestre…
[1] L’extraterrestre face au féminin/masculin, de Georges Pillegand-Le Rider (L’Harmattan), 2021, p.75
[2] L’extraterrestre face au féminin/masculin, de Georges Pillegand-Le Rider (L’Harmattan), 2021, p.80
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Oct 2021