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Callisto McNulty raconte “Delphine et Carole insoumuses”

Dans l’immense salle bondée du Forum des Images, je découvre une histoire d’amitié fabuleuse, qui m’est pourtant méconnue. Celle de deux femmes artistes. Féministes de la première heure, elles sont curieuses et irrévérencieuses, Delphine Seyrig est actrice, Carole Roussopoulos, réalisatrice. Entre interviews, images d’archives et extraits de films, on embarque immédiatement dans ce “féminisme enchanté” des années 70, cher à la réalisatrice du film.

 

 

Actrice connue pour son talent, sa beauté magnétique et sa voix aux accents sulfureux, Delphine Seyrig tourne avec les plus grands, Truffaut, Resnais et Demy, Bunuel, pour n’en citer que quelques uns. Puis alors qu’elle affirme de plus en plus son combat féministe, elle devient la muse des réalisatrices de sa génération : Marguerite Duras, Chantal Akerman,… Elle passe dernière la caméra lorsqu’elle rencontre Carole Roussopoulos, qui devient sa grande amie et son mentor lui apprenant les techniques de réalisation. Le documentaire de Delphine, tourné avec Carole, “Sois belle et tais-toisur l’injonction du cinéma à la beauté envers les actrices, résonne encore fortement aujourd’hui de par sa pertinence.

 

En 1969, Carole Roussopoulos achète l’une des premières caméras portatives, devenant ainsi sans le savoir une pionnière de la vidéo. Immédiatement passionnée par le documentaire, elle arpente les rues, filmant les révoltes de son époque. De sa rencontre avec Delphine nait une série de films comme “Miso et Maso vont en bateau” (1975) ou encore Scum Manifesto” (1976). Carole produit plus d’une centaine de films jusqu’à sa mort en 2009. Son œuvre témoigne de son combat féministe, de son engagement pour les droits LGBT, de son humour et de l’immense liberté dont elle a su faire preuve tout au long de sa carrière et de sa vie.

 

 

 

Rencontre avec Callisto McNulty à qui nous devons le documentaire "Delphine et Carole, insoumuses".

 

 

 

 

 

 

Mauvais Magazine : Callisto, tu es la petite fille de Carole, ce lien filial a compté j’imagine dans la façon dont tu as abordé ton film ?

 

Callisto McNulty: J’étais très proche de ma grand-mère, je passais toutes mes vacances avec elle en Suisse jusqu’à sa mort, quand j’avais 19 ans. Je ne peux pas dire qu’on ait souvent eu des discussions théoriques sur le féminisme. Elle ne me montrait pas tellement ses films à l’époque, mais je reste persuadée qu’elle m’a forcément transmis quelque chose de son engagement. Voir cette femme travailler avec autant d’acharnement sur ses films m’a clairement inspirée. Je dirais que le féminisme est donc quelque chose que je ressentais par héritage, mais que j’ai vraiment commencé à théoriser lorsque j’ai fait mes études à Londres en sociologie à Goldsmith. C’est là-bas que ces questions ont commencé à me traverser d’une façon moins affective, plus avec une envie de recherche. J’ai redécouvert le travail de Carole à cette occasion.

 

Lorsqu’elle est morte en 2009, elle a laissé derrière elle une maquette d’un film qu’elle avait initié sur Delphine Seyrig. C’était un enchainement d’images d’archives qui dévoilait un visage de Delphine peut-être moins connu… On s’éloignait de l’actrice aimée du grand public pour découvrir son combat et son engagement féministe. C’était un projet qui tenait à cœur à Carole, mais nous n’avions aucun des droits pour les archives et il était donc impossible de diffuser ce film. Avec mes co-auteurs Alexandra et Géronimo Roussoupoulos (les enfants de Carole), les Films de la Butte et le centre Simone de Beauvoir dans lequel Carole et Delphine se sont engagées, on avait envie de faire quelque chose de cette maquette. Après plusieurs discussions on s’est dit que même si le film s’appelait « Delphine par elle-même », il s’agissait en réalité aussi d’un portrait en creux de Carole. À travers les archives qu’elle avait choisies, il était clair qu’elle parlait aussi d’elle-même. Les deux femmes avaient beaucoup de points communs : leur origine sociale, leur révolte, leur humour et leur créativité.

 

C’est ainsi que nous nous sommes décidés à faire un portrait croisé de Delphine et Carole pour raconter avant tout leur amitié, mais aussi le combat joyeux qu’elles ont mené dans les années 70. Leur engagement féministe n’avait rien de dogmatique, de sacrificiel, ou de rabat-joie mais s’inscrivait au contraire dans cette force de vivre, cette cohésion du groupe, par le rire. Elles étaient évidemment très en colère, mais elle choisissaient l’humour pour faire passer le message.

 

 

 

MM: Pourquoi ça te paraissait important de raconter cette histoire aujourd’hui ? Serait-ce aussi le contexte actuel qui t’a provoqué l’envie de faire ce film ?

 

 

CMC : C’est un film d’archives sur les années 70 parce que cela correspond au moment où Delphine et Carole se sont rencontrées, en 74 pour être exacte. Elles ont fait de nombreux projets ensemble par la suite et ont fini par fonder en 1980 le centre audiovisuel Simone de Beauvoir qui œuvre depuis pour la conservation des archives et films féministes de l’époque.

 

Dans le documentaire, on se concentre donc vraiment sur la décennie 70, qui est une époque pour moi assez éloignée mais qui donne un éclairage très intéressant sur la place du féminisme aujourd’hui. On retrouve ce même besoin de créer des espaces de parole, d’écoute, d’échange, où l’on peut s’exprimer individuellement et collectivement. Les thèmes qu’elles abordent dans leurs films et leurs actions résonnent particulièrement avec les luttes de femmes actuelles, qu’il s’agisse des normes de féminité qui continuent de façonner nos relations, du désir de plaire, des relations de pouvoir dans l’espace public et la sphère du privé, des questions du travail domestique, de la sexualité, etc…

 

Connaître l’histoire des femmes est important pour appréhender ce que nous vivons aujourd’hui. On a souvent tendance à adopter une posture cynique, liée à un sentiment d’impuissance face aux inégalités. Or les combats de ces femmes, entre autres pour l’avortement, nous montrent que les choses n’évoluent pas de façon naturelle, mais sont le résultat de luttes. Le modèle d’engagement que Carole et Delphine incarnent constitue une source d’énergie où puiser des ressources.

 

 

 

 

“Miso et Maso vont en bateau”commence avec le mot des réalisatrices que voici : “Le 30 décembre 1975, après avoir vu sur Antenne 2 l’émission de Bernard Pivot intitulée “L’Année de la femme, ouf … c’est fini”, nous avons éprouvé le besoin immense d’exprimer notre point de vue, de répondre …”

 

 

 

MM:  Existe-t-il encore des luttes féministes qui méritent encore notre attention, notre énergie, notre colère ?

 

CMN: Oui je pense qu’il y a certainement des combats pour la parité qui avaient été initiés par nos grands-mères, nos mères et qui n’ont pas encore totalement aboutis. Il est donc essentiel de ne pas les prendre pour acquis et de continuer à faire bouger les choses. Parmi les sujets actuels auxquels on peut répondre avec humour, le premier qui me vient à l’esprit est la drague “à la française”. Cette façon dont nous avons intégré qu’il était normal qu’un homme vienne importuner une femme dans la rue, sur les terrasses de café, pendant qu’elle fait ses courses. Je pense qu’il faut vraiment avoir beaucoup de mépris pour le sexe opposé pour se permettre ce genre de comportement. C’est symptomatique, et pourtant on peut facilement renverser la situation avec ironie.

 

C’est ce qui m’a frappée dans les marches féministes; les slogans sont toujours plein d’esprit et vraiment drôles. Que ce soit dans les années 70, comme on peut le voir dans certaines images d’archives du documentaire (ex: le dépôt d’une gerbe de fleurs pour la femme du soldat inconnu : « il y a plus inconnu que le soldat inconnu : sa femme »), mais aussi dans les dernières manifestations qu’il ont eu lieu  à Paris. Plusieurs banderoles étaient de réelles pépites (« girls just want to have FUNdamental rights », « protégeons nos zones humides »).

 

 

 

MM: Comment as tu trouver le fil rouge du film au milieu d’une multitude d’archives et du travail foisonnant de ces deux femmes ?

 

CMN: En effet, Delphine a eu une carrière cinématographique foisonnante et Carole a réalisé plus de 100 films jusqu’à sa mort. Il fallait donc réussir à trouver une histoire au milieu de tout cela. En resserrant l’intrigue sur les années 70, cela a permis de réduire le champ des possibles. J’ai choisi de me concentrer sur la rencontre des deux femmes.

 

Ce qui était important pour moi, c’est de raconter leur histoire, avec en toile de fond ce féminisme joyeux et positif. Le cœur du film concerne avant tout leur amitié. J’ai construit le documentaire afin d’avoir une petite histoire dans la grande. Au fur et à mesure qu’on avançait, certaines images ont commencé à se répondre naturellement. Des sujets entraient en résonance, des bribes d’interview, des films de Delphine et de Carole… Elles ont eu des trajectoires similaires à travers des choix de vie communs. Leur combat a bouleversé leur vie et la façon dont elles avaient d’aborder leurs métiers respectifs. Delphine a d’ailleurs souffert de cela, certains réalisateurs ou producteurs ne voulant plus tourner avec cette actrice “grande gueule”. Ce que j’ai aimé, c’était de réussir à raconter Carole par Delphine et inversement. La trajectoire de chacune s’éclaire mutuellement. Le documentaire se construit ainsi, avec des moments plus tourné vers l’une, puis plus vers l’autre. Le travail a été long et sinueux et je n’aurais pu le faire sans ma monteuse Josiane Zardoya. J’aime à dire qu’avec elle, on a tricoté une histoire à partir de toute cette matière fantastique.

 

 

 

Lors de multiples interviews enregistrées entre Hollywood et Paris, “Sois belle et tais toi” donne la parole aux femmes et montre les injustices, les absurdités que le milieu du cinéma exigeait (et exige encore) des actrices.

 

 

 

 

MM: Un mot de la fin ?

 

CMN: Je pense que ce qui est important, c’est de savoir que ce documentaire est vraiment sur l’amitié sincère de deux femmes. Comme l’une des archives le souligne, nous n’avons pas vraiment l’habitude au cinéma de voir des femmes parler d’autre chose que d’amour, d’hommes ou d’enfants. Or ce qui m’a frappée dans ces extraits que j’ai retrouvés, c’était cette nécessité de ces femmes à se réunir, à se parler de tout, de sujets tabous ou non, mais d’échanger avant tout. J’espère donc que mon documentaire saura transmettre l’importance de la parole des femmes pour laquelle, Carole et Delphine se sont battues avec autant de panache.

 

 

 

“Delphine et Carole, insoumuses” est à découvrir sur Arte. 

 

 

 

 

 

 

 

 

Callisto McNulty raconte “Delphine et Carole insoumuses”

Avr 2019

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