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Mar. 11, 2022

#balancetonbar, la nuit est à tou.te.s

Depuis octobre 2021, le mouvement Balance Ton Bar a libéré la parole sur les agressions sexuelles par GHB dans les bars et clubs de France et de Belgique. Pour revenir sur cet embrasement et les mois qui ont suivi, nous avons rencontré Maïté et Caro, qui luttent en permanence pour que tou.te.s puissent sortir en sécurité.

Bande dessinée de La Nuit Remue (@lanuitremueparis), Les femmes et la fête

L’origine du mouvement @balancetonbar vient des accusations portées début octobre contre deux bars bruxellois très fréquentés du quartier étudiant, Le Waff et El Café. C’est l’un des employés qui est particulièrement visé par pas moins de 17 plaintes déposées par des jeunes femmes, l’accusant de les avoir droguées au GHB puis de les avoir violées. Lorsque ces accusations sont lancées, le patron déplace tout simplement l’employé dans un autre de ses bars. C’est cette impunité, complicité même, qui met le feu aux poudres. Et la flamme prend rapidement : les témoignages sont massivement relayés sur les réseaux sociaux, ainsi que les mises en garde contre certains lieux de la capitale belge. C’est principalement via le compte Instagram @balancetonbar que se passe cette explosion médiatique.

Petit à petit, c’est une véritable nébuleuse d’agressions et de violences sexuelles qui se dessine : dans certains bars, c’est l’équipe entière qui est accusée d’orchestrer des agressions sexuelles par un fonctionnement très rodé, qui irait de l’inaction des services de sécurité jusqu’au raccompagnement de la victime vers des chauffeurs de taxis complices. Une enquête publiée dans le journal Le Soir accuse même un policier de participer à ces crimes : il ferait partie du service de sécurité d’un des bars visés par les accusations, de manière totalement illégale et non déclarée.

Les colleuses d’affiches de Bruxelles ont tout de suite réagi aux plaintes en collant dans les rues autour du Cimetière d’Ixelles pendant plus d’une semaine consécutive, généralement entre 4 et 5 heures du matin pour ne pas se faire repérer. Et stupeur, lorsque qu’au petit matin de parfaits quidams arrachent les affiches collées quelques heures auparavant…

En parallèle, des pétitions ont été lancées, notamment en France. Pour celles et ceux qui souhaiteraient poser leur signature, certaines tournent encore :

https://www.change.org/p/marlène-schiappa-balancetonbar-un-engagement-national-pour-des-lieux-festifs-sûrs

https://www.change.org/p/marlène-schiappa-metooghb-pour-une-prise-en-charge-digne-rapide-et-efficace-des-victimes?signed=true

Enfin, évidemment, la justice a été saisie, mais comme souvent son verdict et sa prise en charge tarde, même si le parquet a assuré les médias nationaux de son implication sans faille dans la prise en charge du problème… En attendant, les agresseurs ne sont pas vraiment inquiétés.

Caro vit le phénomène de l’intérieur. Elle est militante dans plusieurs collectifs féministes bruxellois, et participe aux actions des Collages Féministes et de La Fronde. Elle a constaté une certaine difficulté à trouver un consensus entre les différents mouvements quant à la réaction à avoir. Les collectifs plutôt réformistes ont organisé les deux marches blanches des 14 et 21 octobre, dans le quartier des bars incriminés et en direction de la commune d’Ixelles. A la fin des marches était observée une minute de silence. Pour Caro, le ton n’était pas le bon : « ce n’est pas d’une minute de silence dont on a besoin, c’est de hurler notre colère ». Elle craint même que le message envoyé ne soit pas tout à fait efficace, car elle a surtout ressenti de la pitié de la part des passant.te.s lors de ces événements. Et comble de l’horreur, certaines des victimes ont déclaré avoir vu leur agresseur au cœur des marches.

Collage féministe à Bruxelles

Pour La Fronde, autre collectif bruxellois, anticapitaliste et révolutionnaire, ces réactions étaient trop modérées et n’envoyaient pas un message assez fort aux agresseurs et à la population complaisante. Le principe-même de la négociation est décrié par l’organisation, pour qui le subit engouement des pouvoirs publics et des patrons pour la sécurité des jeunes femmes ne sert qu’à « se racheter une image safe », comme ils l’écrivent dans un communiqué en octobre. Pour qu’au final, le poisson soit noyé, comme le poison dans les verres. Pour La Fronde, il n’y a pas de compromis ni de conciliation possible auprès d’un système dans lequel est ancrée la culture du viol. Les solutions et actions doivent venir d’un militantisme radical. 

Le deuxième événement fut un peu plus consensuel et a réuni plusieurs organisations, comme l’UFIA (Union Féministe Inclusive Autogérée), autour d’une volonté de boycotter les bars pour une nuit. La foule s’est réunie à Bruxelles le vendredi 12 novembre au soir, sur la place de l’Albertine. L’objectif ici était de passer une nuit dans un lieu safe, en s’attaquant aux patrons des bars de manière économique. Environ un millier de personnes se sont réunies ce soir-là. Certains bars ont même fermé leurs portes en acte de soutien à cet événement.

Pour Caro, le problème est toutefois très vaste. Il y a d’abord, et surtout, cette immense impunité envers les agresseurs, qui doit évidemment cesser. Mais il y a aussi la question de la prise en charge du problème dans les bars et boîtes de nuit, où le personnel n’est pas suffisamment formé à réagir dans ces situations, voire refuse tout simplement d’intervenir. « Souvent, la sécurité élude le problème, en accusant la victime de ne pas savoir se gérer ». Elle fait la comparaison avec Berlin, où les employés savent généralement détecter et agir rapidement devant ce genre de situation, avec une intransigeance totale envers les détenteurs et détentrices de GHB

Toutefois, on pourrait avoir espoir que la réouverture des boîtes de nuit et lieux de fête se fasse avec une certaine prise de conscience. En effet, alors que les clubs viennent de rouvrir en France, le gouvernement a lancé une campagne de prévention contre le GHB et les agressions sexuelles. Sont mentionnés formation du personnel, communication auprès du public, prélèvements systématiques à l’arrivée à l’hôpital, et la mise en place d’un « protocole viol » pour les personnes droguées et agressées. En Belgique, le Bourgmestre de Bruxelles annonce une « tolérance zéro » envers les agresseurs dans un nouveau plan de 77 mesures destinées à lutter contre le harcèlement et les violences sexuelles. Certaines des mesures sont nouvelles, mais la majorité se constitue d’une facilitation des procédures dans le traitement des plaintes des victimes et leur accompagnement médical. Pour autant, les organisations militantes n’ont pas été conviées aux négociations et à l’élaboration du plan.

Collage féministe à Bruxelles

Afin de mieux comprendre les solutions qui permettent d’endiguer cette vague d’agressions, nous avons rencontré Maité, fondatrice de la page @balance_ton_bar à Bruxelles. Elle nous explique que ce mouvement est né du besoin de centraliser les témoignages dans un espace sécurisant pour les victimes.

Après avoir lancé la page instagram du mouvement en Belgique, Maité a essayé de l’exporter, notamment en France où de nombreuses pages ont vu le jour (Paris, Marseille, Lyon), puis en Espagne, avec un grand succès, au Canada et en Tunisie, où cela avance plutôt bien. Aujourd’hui on compte près de 50 pages ouvertes. Elle continue à travailler à l’expansion du mouvement, mais elle ne se charge que de la page de Bruxelles, où elle a déjà publié plus de 200 témoignages. Elle en a recueilli bien plus mais ne les diffuse pas systématiquement, en fonction du souhait de la victime et afin d’en respecter la vie privée.

Elle nous explique que le mouvement a pour objectif de libérer la parole mais que cela ne doit pas s’arrêter là. Cette initiative doit donner lieu à des actions concrètes. Pour cela, elle porte ce combat dans les médias et travaille à faire entendre cette parole pour donner lieu à une véritable prise de conscience collective. Il s’agit avant tout d’éduquer tout un chacun et former le personnel des établissements de nuit.

Aujourd’hui, son travail porte ses fruits car il a réussi à attirer l’attention politique. En effet, de nombreux politicien.nes prennent contact avec elle pour lui demander des conseils, notamment la ville de Bruxelles, le Bourgmestre de la commune d’Ixelles, et la Secrétaire d’Etat qui l’a conviée à une réunion visant à mettre en place une campagne de sensibilisation auprès du grand public, mais également une formation pour le personnel des établissements de nuit. Lors de ces rencontres, elle s’applique à faire passer les revendications militantes auprès des gouvernements. De plus, Maïté crée du lien et souhaite faire en sorte que les politiques, les militant.es et les associations collaborent pour mener ce combat ensemble.

Elle demande tout d’abord que l’on cesse de remettre la responsabilité sur la victime car c’est un déni de la source du problème.  Elle prône également le renforcement de la sécurité dans les établissements de nuit, à la fois en éduquant le personnel des établissements de nuit, et en éduquant leurs clients, sans pour autant tomber dans la vieille rengaine du “faites attention” qui culpabilise encore une fois les victimes. Il existe de nombreuses autres solutions pour offrir plus de sécurité aux client.e.s des bars et des boîtes de nuit. Nous discutons notamment de la présence de personnel féminin, ou au moins d’aidantes féminines. En effet, ces femmes de référence sont prêtes à créer un cadre sécurisant sans coût pour les gérants. Grâce au programme britannique “Ask for Angela” (“Demandez Angela”), il existe également un mot de passe pour demander de l’aide discrètement au bar. Cependant, le manque de formation du personnel semble en diminuer fortement l’efficacité. Enfin, la méthode des 5D (Distraire, Déléguer, Documenter, Diriger, Dialoguer) permet à toute personne témoin d’une agression ou d’un harcèlement de désamorcer la situation.

Collage féministe à Bruxelles

Nous en revenons donc encore et toujours à l’importance de la formation du personnel des établissements de nuit, derrière le bar comme à l’entrée, notamment pour ce qui est de la communication avec les victimes. Leur méconnaissance des effets du GHB les amènent à traiter les victimes comme des client.e.s indésirables qu’iels mettent souvent à la porte de l’établissement sans les écouter et de les accompagner dans la marche à suivre. Il serait préférable de faire des tests immédiatement en cas de suspicion (le GHB disparaît extrêmement vite dans le sang), de porter plainte, ou simplement de se faire raccompagner chez soi par des ami.e.s de confiance. C’est grâce aux témoignages déposés sur les pages de @balancetonbar que l’on a compris à quel point les réactions du personnel de sécurité étaient problématiques. En Belgique, alors que ces dernier.es sont tenus d’avoir une carte de la Loi Tobback pour exercer le métier d’agent.e de sécurité, aucun chapitre ne traite des violences faites aux femmes.

Concernant la formation des policier.es, on remarque également de nombreux manques. Une formation est proposée pour mieux accueillir et prendre en charge les victimes. Cependant, elle n’est pas encore obligatoire. Les choses avancent tout de même, en grande partie grâce au tollé médiatique de Balance Ton Bar.

Malgré tout, ces problèmes sont connus depuis longtemps, beaucoup de femmes les ont subis et c’est seulement maintenant que l’attention publique se porte sur leurs témoignages. Trop longtemps, ils ont été niés, minimisés, via l’argument de la responsabilité personnelle : “sortir en tant que femme, c’est accepter de s’exposer au risque”. Aujourd’hui, les différentes actions menées par les associations féministes insistent sur la nécessité d’éveiller la société, par la sensibilisation, l’exposition publique, mais également à travers l’engagement des gouvernements et le soutien financier des collectivités.

Luci Baudi, Paul Labourie

#balancetonbar, la nuit est à tou.te.s

Mar 2022

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