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Agathe, la Sainte des Seins

C’est l’une des plus grandes manifestations religieuses en Europe. Tous les ans, des milliers de croyant.es se rassemblent à Catane en Sicile pour célébrer la patronne de la ville, Sainte Agathe. Uni.es par une foi intense et le culte qu’iels vouent à cette vierge, les dévot.es entrent alors dans une sorte de transe collective.

Ayant perdu la foi depuis bien longtemps, je n’avais bien évidemment jamais entendu parler de cette fête. Le hasard fit que je la découvris dans un musée de Berlin, à travers une fascinante installation vidéo de l’artiste Pauline Curnier-Jardin1, juste avant de m’envoler à Catane pour les vacances. Là-bas, impossible de manquer la présence de Sainte Agathe que l’on retrouve dans tous les lieux de culte et dont les habitant.es parlent comme de l’une de leurs contemporaines. Suite à cette synchronicité, je décidai de revenir en février pour ne pas manquer ça.

Si l’on se fie au chroniqueur italien du Moyen-Âge Jacques de Voragine2, Sainte Agathe était une jeune vierge de la haute noblesse qui vécut au IIIème siècle, et s’était consacrée au Seigneur. Un projet louable si toutefois un consulaire dénommé Quintien ne s’était pas épris d’elle jusqu’à en perdre la raison. Étant de basse extraction, il était décidé à l’épouser afin de s’unir à une personne noble, et comme la vierge ne cédait ni à ses avances ni à ses tentatives de corruption, il la fit emprisonner et torturer. Parmi de nombreux supplices, on lui arracha les seins. L’apôtre Saint-Pierre lui apparut alors pendant la nuit pour guérir ses mutilations. Mais la foi d’Agathe étant inébranlable, et la volonté de Quintien imperturbable, les tortures se poursuivirent et la vierge mourut en 250 des suites de ses blessures. C’est fou comme cette histoire résonne encore en 2022, non ?

Sebastiano del Piombo, Le Martyre de Sainte Agathe, 1631.
Photo : © Archives Alinari, Florence.
Dist. RMN-Grand Palais / Nicola Lorusso.

Le jour de sa mort, un grand tremblement de terre ébranla toute la ville. Le peuple accusa immédiatement Quintien : c’est son injuste cruauté envers Agathe qui aurait provoqué la catastrophe. Un an plus tard, l’Etna entra en éruption et la lave commença à enflammer peu à peu Catane. Les habitant.es se saisirent alors du voile qui recouvrait le tombeau de Sainte Agathe et le placèrent devant le feu qui cessa immédiatement. Un miracle qui lui fit accéder au statut de Sainte ! Depuis cet événement, on invoque son nom pour se protéger des incendies et des catastrophes naturelles. Plus récemment, on la prie aussi pour lutter contre le cancer du sein.

Chaque année donc, du 3 au 5 février, la martyre est glorifiée avec passion et la ville de Catane se transforme pour accueillir des festivités XXL. Le premier jour est dédié à l’offrande de cire : lors d’une procession, les dévot.es offrent des cierges en demandant la protection de la Sainte. L’usage populaire veut que la bougie offerte soit de la même taille ou du même poids que la personne qui l’offre ! Onze candelori, d’immenses chandeliers représentant les arts et métiers de la ville, sont portés en procession. La journée se termine avec un feu d’artifice pour rappeler que la martyre veille toujours sur l’Etna.

Offrande de cire
Photo : @ Domaine public

Le lendemain, après une messe célébrée par l’archevêque dans la cathédrale de Catane, le buste et les reliques de Sainte Agathe sont hissé.es sur un char en argent qui arpente la ville toute la journée et parfois toute la nuit, le tout ponctué de chants et de feux d’artifice à chaque étape. Le climax de la fête ! Enfin, le dernier jour, une nouvelle procession passe cette fois par le centre de la ville pour finir, là encore, par un spectacle pyrotechnique et des concerts.

J’en viens à la tradition la plus intéressante selon moi : pendant cette fête, on trouve des pâtisseries en forme de sein appelées les Minne di Sant’Agata, qui symbolisent la poitrine de la martyre. Plutôt subversif dans un pays aussi conservateur !

Minne di Sant’Agata,
Photo : Tara Benveniste

Bien entendu, cette année les festivités ont été considérablement restreintes. Après avoir été annulée en 2021, la fête devait se dérouler normalement en 2022, jusqu’à ce que les processions soient interdites par les autorités seulement quelques jours avant son commencement. Pour la seconde fois consécutive, la patronne de la ville ne quittera pas sa cathédrale. La déception des dévot.es est palpable, mais iels s’adaptent. Les chants et les prières envahissent les rues, la cire coule à flots, les messes s’enchainent, et la queue pour apercevoir le buste de Sainte Agathe dans son église ne s’amenuise pas. Les croyant.es font preuve de créativité en construisant leurs propres candelori en carton. Ce qui frappe pendant cet événement, c’est le jeune âge des dévot.es, et la fougue mise dans ce culte. Qui dit que les jeunes générations sont moins pieuses ? Certainement pas les italien.nes.

Malgré tout, une certaine tristesse propre à notre époque émane de ce spectacle : la liste des interdits est longue, les feux d’artifice timides, et la musique absente. Alors la question se pose : que deviendront ces moments de communion si se rassembler reste synonyme de danger ? Comment continuer à fédérer alors que les rites, ciments des identités culturelles, sont étouffés ? J’imagine que la protectrice des catastrophes naturelles, elle, ne se laisse pas impressionner…

Tara Benveniste

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1 Pauline Cunier Jardin, Fat to Ashes, 2021.

2 Jacques de Voragine, La Légende Dorée 1. GF.Flammarion

Photo : Tara Benveniste

Agathe, la Sainte des Seins

Mar 2022

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