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Shéhérazade, la parole d’une femme contre la mort

Illustration de Léon Carré

Shéhérazade n’a jamais existé, pourtant elle est une inspiration majeure, une icône féminine, un fantasme orientaliste pour les occidentaux mais surtout un modèle de vertus de par son sacrifice. Son histoire constitue le conte-cadre du livre des Mille et une Nuits dont découlent de multiples récits qu’elle raconte.

Ce recueil puise son origine dans l’Inde du IIIe siècle qui est le berceau des contes transmis par la parole. Les manuscrits sont traduits et se transmettent au fil des siècles. Ils traversent le monde, de la Perse jusqu’à l’Empire Ottoman en passant par Bagdad et l’Égypte, qui y introduisent leurs croyances et leur spiritualité. Les histoires des marchands et des marins arabes qui voyagent sur la route de la soie ainsi que de multiples ouvrages savants comme des traités philosophiques, scientifiques et géographiques enrichissent les contes. Au XVIIIe siècle, le recueil arrive en Occident grâce à la première traduction française de Antoine Galland et marque le début du mouvement orientaliste, en s’inscrivant comme un monument de la littérature arabe et un miroir de l’Humanité du Xe siècle.

L’ensemble de ces contes est raconté par une seule et unique narratrice, Shéhérazade, dont l’histoire se passe en Perse. Le personnage principal du récit, le Roi Schahriar est trompé et humilié par sa femme, il décide, ravagé par la haine de l’égorger. Depuis ce crime violent, il choisit une jeune vierge qu’il épouse le soir avant de la violer et de l’étrangler au matin, ce qui l’assure de sa fidélité éternelle. Avec ce châtiment, les descendances sont compromises et l’humanité tout comme les femmes sont condamnées.

Assistant à ce massacre, Shéhérazade, fille d’un grand vizir, décide de s’offrir au Roi. En secret une ruse s’opère, chaque nuit, elle lui raconte une histoire passionnante et perpétuellement inachevée qui chaque matin lui permet de survivre et ce nuit après nuit. Pour connaître la suite des récits, Schahriar reporte l’exécution jour après jour, permettant à la narratrice de gagner sa confiance. C’est par la parole, son éloquence et son savoir qu’elle arrive au bout de mille et une nuits à guérir le Roi de sa folie et à mettre fin à l’anéantissement des femmes.

UN SYMBOLE FÉMINISTE

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Sophie Gengembre Anderson, Scheherazade, The New Art Gallery Walsall

« Avec les Mille et une nuits, nous assistons donc au duel de l’esprit contre la force, de la science contre l’ignorance, de la lumière contre les ténèbres. La victoire restera au plus puissant des deux adversaires, c’est-à-dire à la femme. »

Marie Lahy-Hollebecque, le féminisme de Shéhérazade

Dans la littérature du Moyen-Âge, les femmes ne peuvent s’identifier qu’à deux représentations, la Vierge, divine et pure ou la tentatrice pécheresse et décadente (la Vierge Marie, opposée à Eve et à Marie Madeleine). Le conte ne déroge pas à la règle avec les figures de la divine vierge Shéhérazade et la pécheresse, la femme du Roi. Quand la femme n’est pas réduite à la procréation, elle l’est de toute façon par son corps dans le rôle de la Vierge puisque cette même virginité est profanée puis sacrifiée, c’est un sacrilège qui témoigne du peu d’estime que le Roi a pour les femmes. Pensant qu’elles sont toutes infidèles, le Roi se transforme en homme dévoré par la folie, en tueur en série au mode opératoire abominable.

Confronté à Shéhérazade, mais aussi aux rôles tenus par les femmes dans les récits, Schahriar finit par comprendre qu’elles ne sont pas diaboliques et faibles. Le recueil des Mille et une Nuits se veut pionnier et exceptionnel en ce qui concerne leur représentation. Shéhérazade est plus qu’un corps, elle est dotée d’esprit. Puissante et résistante, elle fait face à la tyrannie d’un homme de manière pacifiste. Son courage est évidemment indiscutable, car on constate par la difficulté du défi qui l’attend, de la bravoure de caractère de celle qui s’y risque, de son audace. La place accordée aux femmes dans le livre est admirable, elles sont habiles, fortes et impétueuses. La plupart des actions héroïques normalement accordées aux hommes deviennent, ici, des attributs féminins.

C’est une femme qui élève le Roi au rang d’homme cultivé et juste, c’est elle qui détient les récits qui ont des fonctions encyclopédiques et spirituelles. Ce qu’il y a d’extraordinaire, c’est que cette œuvre aussi ancienne est la preuve qu’une lutte féministe pour la liberté et l’égalité des sexes existent depuis bien longtemps. C’est surtout la preuve qu’elles ont été considérées et ont pu obtenir une image digne de ce nom à des époques et dans des pays où l’on semble justement priver la femme de certaines libertés.

UNE STRATÉGIE NARRATIVE

Shéhérazade se bat grâce à une arme précieuse : ses talents de narratrice dotés d’une richesse immense de verbe, de poésie, d’inventivité et d’imagination. Elle puise son inspiration au travers de sa mémoire, sa culture et les livres qu’elle a lus puis croise le tout pour construire des histoires multiformes, des fables animalières, des contes fantastiques moraux et psychologiques. Le réel se frotte ainsi à la fiction ce qui permet au Roi de s’identifier aux personnages et de se remettre en question.

Anna Karina dans Shéhérazade de Pierre Gaspard Huit, 1962

La parole de Shéhérazade se veut pédagogique à la fois pour le Roi mais aussi pour le lecteur. Ce recueil, à travers les contes, place l’être humain autant face à ses vices qu’à ses vertus. La force de ses récits sont qu’ils sont à la fois divertissants et éducatifs, ils délivrent un enseignement moral qui a pour but de faire comprendre, les notions de bien et de mal par la fiction. L’usage d’allégories est si continuellement utilisé dans les mille et une nuits que la narratrice fait comprendre subtilement une idée ou un concept.

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La nuit de lecture passée avec Shéhérazade devient un moment plaisant et indispensable pour le Roi, ce moment spécial, cette chambre au cadre intime et symbolique, tous ces aspects de proximité qui rendent Schahriar plus vulnérable, entre quatre murs où la séduction opère, à l’abri des regards. Dans ce contexte, la narratrice captive son auditoire qui reste silencieux et attentif. Le silence d’un homme prisonnier des mots, au service du seul bruit audible dans la pièce, la voix de Shéhérazade.

“C’est la force de vie qui jaillit puissamment d’elle – et qui jusque-là a été méprisée, diminuée, étouffée – qui doit constituer le cœur, le noyau de l’identité que la femme doit se donner. C’est donc en elle-même que la femme doit chercher et trouver ce qui lui permettra d’être autre chose que ce que l’homme a bien voulu qu’elle soit.”

Parole de femme, Ilhame – El Himdi

Schahriar qui était un bourreau à l’égo meurtri et asservi par la violence, se transforme en un homme respectable et juste, au terme de mille et une nuits, de plus de deux ans de poésie, il s’unit officiellement avec Shéhérazade.

UNE MUSE QUI TRAVERSE LES SIÈCLES

Shéhérazade traverse les époques à travers le regard de plusieurs grands artistes et notamment celui de Magritte. Peintre emblématique surréaliste du XXᵉ siècle, il interprète le personnage de Shéhérazade en 1956, ne représentant que ses yeux et sa bouche entourés de perles. C’est un portrait particulier qui dialogue entre le visible et l’invisible représentant un visage dont il ne reste que l’essentiel, c’est-à-dire les portes qui lient l’intérieur de l’être avec le reste du monde. Les perles rappellent la condition privilégiée de Shéhérazade, qui n’est autre que la fille d’un grand vizir et donc une princesse cultivée tandis que les yeux représentent le miroir de l’âme, notre regard sur notre condition et celle des autres, ils créent un lien entre la peinture et le spectateur. La bouche est l’unique passage du langage oral que l’anthroposophe Rudolf Steiner qualifie de miroir de l’homme, la richesse culturelle du monde se perpétue par cet organe.

“Je veille, dans la mesure du possible, à ne faire que des peintures qui suscitent le mystère avec la précision et l’enchantement nécessaire à la vie des idées.”

Magritte

Magritte avec le surréalisme tout comme Shéhérazade avec ses contes, se libèrent du poids du monde par le prisme de l’art et réhabilitent le rêve et l’imaginaire. L’un comme l’autre témoignent donc de la puissance du savoir et de la culture qui peuvent sauver de la mort, de la folie et de l’obscurantisme.

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