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TARABISCOTAGE DE MAUVAIS GOÛT #1

« From Garbage to Garment »

@minimalwaste.design

Marco Ward présente une collection nommée Carbone dont l’impact environnemental est nul. Marco se déplace à vélo pour lequel il nourrit une passion, que l’on retrouve au cœur de sa collection. Il récupère les matériaux de ses œuvres notamment dans diverses poubelles d’où il tire, selon ses propres mots, « une source inépuisable d’inspiration ». La variété des couleurs et des formes qu’il y déniche lui permet de réaliser ses œuvres ; vivantes pour la mode et le vêtement ; décoratives pour les sculptures et les tableaux. Ce jeune créateur, diplômé de l’Institut français de la Mode en 2021, fait de son art une reconstruction et tout un mode de vie basé sur la réutilisation de ce que le commun considère comme des déchets et dont le traitement, encore de nos jours, laisse à désirer plus d’engagement et de conscience pratique. Nous l’avons rencontré et il nous a donné une interview pour parler de son travail et peut-être, inspirer un autre regard sur le monde et sur la création. Restez avec nous, cette rencontre promet de vous éblouir.

Marco a répondu à nos questions, desquelles nous vous proposons un concentré retravaillé où vous retrouverez ses mots.

Son processus de création artistique et ses inspirations

Dans l’art de l’upcycling, tout part de la récupération. Marco tire de cela une grande forme de liberté. Déjà parce qu’ainsi tous les produits utilisés sont gratuits. Cette gratuité lui assure la plus complète liberté. C’est aussi en récupérant que Marco vit concrètement sa pratique de l’écologie. Car autrement les matériaux écologiques aujourd’hui, tels que le chanvre et le coton bio, qui sont tout de même très demandeurs en eau, coûtent aussi très cher. En effet, l’écologie, dans la mode et dans la création à partir de matières neuves, engage des frais qui sont plus importants.

Il est notamment inspiré par le travail d’El Anatsui, artiste plasticien et reconnu dans le monde de l’upcycling El Anatsui met en avant ces processus de récupération, gages de liberté pour l’artiste et d’engagement symbolique vers un nouvel ordre de création, qui s’impose comme reformation à partir d’une matière ayant déjà été transformée.

Cette manière d’approcher l’esthétique évoque une nature morte, revisitée par le vêtement. Comme dans ces tableaux où l’on peut contempler des fruits ou des aliments comestibles qui, figés dans la peinture, ne pourriront jamais. Avec la récupération, la matière non plus ne meurt pas. C’est aussi une mise en pratique des propos de Lavoisier, dans son Traité élémentaire de chimie de 1789, quand il annonçait cette formule devenue célèbre « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme », qui fait écho à celle du grec de l’Antiquité Anaxagore, contemporain de Socrate et de Platon : « Rien ne naît, rien ne périt, mais des choses déjà existantes se combinent, puis se séparent de nouveau ».

Alors, l’inspiration émerge du travail de reconnaissance du possible depuis la matière sous toutes ses formes réutilisables ; sachets de chips, canettes de soda, ou encore chambres à air de Vélib usées que Marco récupère et retravaille depuis 3 ans.

Pour réaliser la structure de ses œuvres, il a développé une technique modulaire composée autour de formes géométriques. Pour cela, il a fait des recherches sur les développements de la géométrie dans l’espace. Il s’inspire ainsi de la géométrie euclidienne (sur surface plane), de la géométrie d’Archimède (notamment sur le développement les cubes et les tétraèdres), de la géométrie hyperbolique (portant sur le déploiement suivant la profondeur) et enfin, de la géométrie de tout l’espace concevable suivant des formes répétitives de déploiement en trois dimensions, nommée géométrie gyroïde.

La modélisation, à partir de ce qu’il nomme « modules » qui correspondent à sa forme d’origine, s’organise suivant la liaison des formes géométriques dans l’espace qui lui permettent de construire les volumes des vêtements, des sacs et de toutes ses créations. Par ailleurs, comme les modules tirés des chambres à air sont tous de la même taille, ils permettent un déploiement géométriquement exact des formes, suivant une méthode qui se rapproche du tressage. Le tressage des modules, est ainsi réalisé selon la mise en abyme des formes géométriques suivant la logique des fractaux qui donne aux œuvres de Marco un rendu kaléidoscopique, voire psychédélique, moléculaire et organique très lié à la nature même de son œuvre.

Marco parvient à réaliser toutes formes possibles relativement à l’exploitation de son module original. Une diversité de modules originaux lui permettrait en outre, de réaliser des modélisations réelles bien plus fines encore.

Il conçoit la modélisation du vêtement en 3D, sans couture et sans machine à coudre. L’impact écologique de sa collection se résume seulement à l’utilisation d’eau nécessaire à nettoyer les matières qu’il utilise.


Aussi la reproduction systématique de la forme géométrique initiale donnée dans l’espace hyperbolique présente une vision de liberté, mêlée d’ignorance dans la création ou la réalisation. Ignorance, de ne pas véritablement savoir ce à quoi le développement de telle ou telle forme va faire aboutir.

Tout le travail d’apprivoisement de la géométrie dans la création et dans la modélisation des œuvres, qu’elles soient des vêtements ou des sculptures, a quelque chose de fascinant, d’infiniment incertain, libre et pourtant logique et cohérent. Le travail de Marco engage aussi un sentiment d’humilité vis-à-vis de la création dans la mesure où le déploiement de la matière ne lui appartient pas totalement. Son processus prend racine dans le possible et soutien, par sa persévérance la réalisation de la forme recherchée. C’est un travail complet de reprise et d’organisation des divers éléments et de composition avec la gravité. Ces œuvres sont des exemples d’équilibre dans une révérence faite à l’alliance du travail des mains et de l’esprit.

L’idée ou le message propre à cette collection 

Au sujet du carbone lui-même, qui fait à la fois référence à l’engagement éthique de Marco contre la dispersion de ce dernier dans l’air et à la modélisation de ses créations…

Tout d’abord le carbone se retrouve dans tous les êtres vivants. Toutefois ces molécules qui constituent le vivant se rattachent toujours à autre chose. En revanche, les molécules pures de carbone prennent des formes différentes telles que le graphème (matière épaisse d’un atome, que l’on retrouve sur la tactilité des téléphones), le graphite (contenu dans la mine des crayons) suivant des couches superposées, et enfin le diamant, qui correspond à une structure moléculaire du carbone qui représenterait une des matières les plus solides au monde.

C’est des formes allotropiques du carbone dont Marco s’inspire dans ses vêtements.

Dans ses robes, on retrouve par exemple la structure moléculaire du Buckyball. Cette forme correspond à une structure du carbone réalisée en laboratoires. Elle permet d’encapsuler une molécule dans une autre, c’est aussi la structure d’une balle de football. Cette structure permet de faire entrer une molécule dans une autre avant de l’en libérer, ce qui s’avère très utile notamment pour la libération et l’adhésion des médicaments dans nos corps et dans nos cellules.

Une autre de ses inspirations renvoie à une conférence tenue à Harvard au sujet des effets de la DMT et de sa mise en perspective des divers degrés de représentation propres à l’esprit humain. Y était développée une catégorisation des stades de conscience retransmis suivant la consommation de cette drogue par les participants de l’expérience. Un des stades observés témoignait d’hallucinations qui correspondaient à la représentation de la surface et de l’espace, selon des formes géométriques. Car la géométrie est une façon pour l’esprit humain de conceptualiser, de cartographier et d’établir une logique et ainsi un ordre dans la nature, exprimé par l’idéal d’une forme pure, c’est-à-dire assimilable à une diversité de choses catégorisées « simplement » par l’esprit. 

Photo : Mia Alouf
Mannequins de gauche à droite : Killian Serra-Jourdain, Louise de Percin, Loïs André-Ergon

Ses idées directrices et éthiques 

Les vêtements sont unisexes, la non-binarité et le cassage des genres constitue une part importante de l’esthétique pour Marco. « Le futur de la mode est unisexe, 100% » dit-il.

L’élasticité de la chambre à air engage une extension du vêtement qui permet à une diversité de tailles et de profiles de l’épouser.  
Cette esthétique est faite de trous, pour tous. Le tressage élastique mais serré de ses créations s’apparente ainsi à une seconde peau qui ne nous quitte pas et qui nous donne un sentiment de protection, d’être renforcé dans un contact étroit à notre propre corps mais qui nous emprisonne aussi d’une certaine façon. Ce corps à corps avec le vêtement nous renvoie intimement à nous-même. Ses créations inspirent ce paradoxe inhérent à l’existence humaine et subjective : pour être soi, il est évidemment question de sentir et ressentir son propre corps, mais l’existence n’est pas seulement dans cette union et dans cette dimension d’entente avec soi. Elle est aussi dans sa rencontre avec l’extérieur. Aussi, le plaisir que l’on ressent en portant les créations de Marco et qui a été partagé par ses mannequins ; celui de se sentir embelli.e, renforcé.e en soi-même, se double du plaisir de quitter le vêtement, de retrouver la liberté dans la fluidité du corps, qui s’oublie finalement dans sa rencontre incessante avec l’extérieur.

Nous y retrouvons une vision de la liberté qui vient de l’oubli de soi-même en tant que corps particulier. Il semble que Marco éprouve aussi cela en créant, ne sachant vraiment ce que la matière aura à lui offrir comme possibilité, guettant et prenant patience, s’oubliant lui-même au profit de la réalisation, dans l’extérieur, de quelque chose de finalement cohérent pour lui-même (et pour nous), hors de lui-même.

Ses vêtements lui rappellent aussi la logique des artistes Jeanne-Claude et Cristo, qui ont exploité le thème de l’emballement et donc cette idée de « redécouvrir son corps après l’avoir porté » a-t-il dit.

Photo : Olivier Nemnom
Mannequins de gauche à droite : Vivan Dam, Alan Cabanes, Clara Romani

Sa vision du mauvais goût

Dans une perspective éthique qui lui colle à la peau et à la conscience, la fourrure est un gage de mauvais goût dans la mesure où elle suppose la souffrance d’un être vivant. Le cuir lui, est lié au fait que l’on consomme de la viande. Aussi, il entre dans une autre démarche que celle qui supposent seulement l’habit et l’esthétique. Utiliser des techniques de tannage naturel est néanmoins essentiel aussi bien pour l’écologie que pour les conditions de santé et de travail autour de ses traitements. 

Enfin, certains cassages de codes vers l’inutilité, comme par exemple porter des sous-vêtements au-dessus d’une robe, lui apparaissent de mauvais goût. La vision esthétique de Marco s’attache bien plus à une beauté dont on sent l’investissement en temps et l’engagement du savoir-faire, tel qu’on la retrouve dans la minutie du travail de broderie, de macramé et dans celui des détails.

Retrouvez son travail et suivez l’évolution et le détail de son art sur son compte instagram : @minimalwaste.design

Photo : Olivier Nemnom
Mannequins de gauche à droite : Clara Romani, Vivian Dam, Alan Cabanes

— Louise de Percin


TARABISCOTAGE DE MAUVAIS GOÛT #1

Juil 2022

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