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Loin du Cœur, les lignes s’écrivent pour dénoncer les violences à l’encontre des femmes

Sorti symboliquement le 25 novembre, journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, Loin du Cœur est un recueil de nouvelles et de témoignages issu d’un appel à textes initié par les éditions Beta Publisher, en collaboration avec la Fédération Solidarité Femmes. À l’occasion de sa parution, nous avons rencontré l’éditrice, ainsi que l’auteur et élément déclencheur du projet, afin de discuter des enjeux d’une telle initiative.

Avec l’avènement du mot-dièse #MeToo, la parole des victimes de violences sexistes et sexuelles se libère à torrents. Toutes sortes d’abus, longtemps passés sous silence puisque tabous, sont désormais ouvertement dénoncés. Il semble que cette décennie laisse entrevoir un futur dans lequel la prise de conscience massive permettra le bannissement de ces attitudes archaïques.

Alors que les médias et associations mettent en lumière davantage de comportements brutaux et intrusifs qui étaient jusqu’alors ignorés, à l’instar des violences obstétricales et gynécologiques, le 22 novembre, le ministère de l’intérieur reportait néanmoins des chiffres toujours glaçants quant aux violences intrafamiliales et féminicides dénombrés en France.

La bataille pour l’éducation d’une génération sensibilisée à refuser ce type de dominations physiques et psychologiques, trop longtemps invisibilisées, a débuté. La multiplication d’œuvres culturelles sur le sujet semble être par ailleurs une action des plus probantes afin d’éduquer la société à ne plus ignorer ou minorer ces humiliations et drames quotidiens.

Dans le cadre de la soirée de lancement du recueil de nouvelles et de témoignages Loin du Cœur (Beta Publisher, 2021), nous nous sommes entretenus avec Camille de Decker, l’éditrice et Stéphane Bourles, auteur de romans et instigateur de ce projet. Le rendez-vous était fixé au sein de l’envoûtant coffee-shop BKNK, lieu de découvertes et local de la maison d’édition, situé dans le IXème arrondissement de Paris.

Comment vous est venue l’initiative de cet appel à textes ?

Camille de Decker : Stéphane est à l’origine du projet.

Stéphane Bourles : Pour commencer, les violences à l’encontre des femmes est un sujet qui me touche personnellement, je l’avais déjà abordé dans mes romans historiques. Un jour j’ai voulu participer à un concours de nouvelles. Devant le papier c’est la première chose qui m’est venue, je me suis mis à rédiger un texte sur ce thème. Je me suis ensuite demandé pourquoi l’envoyer au concours alors qu’il y avait mieux à faire. Autant initier un recueil de nouvelles et en faire bénéficier une association qui a besoin de cet argent.

Combien de personnes ont participé à ce concours lancé avec l’association Solidarité Femmes ?

Camille de Decker : Grâce à l’appel à textes, nous avons reçu à peu près 150 nouvelles et témoignages.

Stéphane Bourles : Comme il y a deux ou trois personnes qui ont envoyé deux textes, cela fait environ entre 145 et 150 auteur·ices.

Camille de Decker : Stéphane n’est pas un auteur de la maison.

Stéphane Bourles : J’ai contacté plusieurs éditeurs et personne n’en voulait ou aucun ne me répondait. C’est impressionnant. Camille est la seule qui a tilté dessus et j’ai été ravi de collaborer avec elle. Elle est très professionnelle.

Des hommes y ont-ils également participé ?

Camille de Decker : On a eu des femmes, des hommes, on a eu tous les sexes et tous les genres, si j’ose dire, qui ont participé et répondu à l’appel à textes. Dans les 150 qu’on a reçus, on en a sélectionné vingt avec Lucie Favry qui est représentante de l’association Solidarité Femmes. Ce sont les vingt qui approchaient le sujet avec divers angles et différentes approches. On a des violences qui se passent en France, d’autres à l’étranger. Il y en a qui se passent dans le passé, dans le futur et dans le présent. On a un peu tous les angles : le point de vue des femmes battues, celui des enfants, celui du conjoint, ou des voisins. On a essayé de faire le recueil le plus complet possible en vingt nouvelles.

Stephane Bourles : Le plus varié aussi puisqu’on s’est rendu compte qu’en lisant des nouvelles sur des scènes de violence, à la longue, c’était écœurant. On n’en pouvait plus. On a ainsi essayé de varier les textes pour ne pas qu’il y ait ce côté écœurant dans le livre.

Camille de Decker : On souhaitait que ça reste chargé en émotion. Pour le moment, le type de retours qu’on a reçu est : « c’est difficile à lire mais ce n’est pas trop violent ni trop sanglant. » On a essayé de garder un certain équilibre.

Quels étaient les critères de sélection et de réussite ?

Camille de Decker : Lucie a pas mal joué, parce que l’association a beaucoup plus d’expérience sur le sujet. Elle sait ce qu’il faut dire, comment il faut l’exprimer, comment il faut l’approcher et le présenter. Là-dessus elle nous a pas mal chaperonnés pour garder une bonne ligne directrice. Ensuite, il y avait évidemment la qualité d’écriture qui a joué puisqu’on a reçu des nouvelles de tous niveaux.

Stéphane Bourles : Il y a eu également quelques textes qu’on a été obligés de décliner, qui n’étaient pas forcément mauvais mais qui justifiaient, par exemple, le crime de celui qui commet la violence. On a essayé d’être sur une ligne informative et émotionnelle mais non pas sur la vengeance ni la légitimation de la violence.

Ce livre a-t-il été conçu dans une optique de sensibilisation ?

Stéphane Bourles : Ah oui ! Totalement éducatif. Mon ambition serait que des enseignant·es puissent prendre une nouvelle dans le recueil et la faire lire à une classe, en parler. J’ai déjà discuté avec quelques professeur·es qui vont le faire et ça, c’est génial, puisque pour beaucoup les violences sont un manque d’éducation, tout simplement.

Camille de Decker : Oui, le manque d’éducation se corrige par l’éducation.

Pensez-vous que la multiplication d’œuvres qui soulignent les mauvais traitements destinés aux femmes à l’instar de ce livre ou, par exemple, la série Arte H24, vont pouvoir contribuer à changer les mentalités ?

Camille de Decker : Ça y contribue évidemment. Il y a toujours le côté pédagogique, apprendre aux enfants que l’on ne fait pas ceci, que ces types de comportements ne sont pas normaux, sains. Il faut qu’il y ait plusieurs canaux qui parlent du sujet, qui le traitent, que ça se diffuse dans les médias. Que cela devienne un sujet ouvert aussi puisque pour beaucoup ce ne sont pas des sujets faciles à aborder, ils sont tabous. Du fait qu’on en parle et qu’on mette le sujet devant le public, on espère contribuer à notre petit niveau. C’est une pierre ajoutée à l’édifice.

Stéphane Bourles : L’objectif est de dégoûter de la violence mais il faut que les lecteur·ices le réceptionne bien en face. L’objectif n’est pas de donner à penser que les hommes sont tous des pourris.

Lundi dernier, le service statistiques du ministère de l’Intérieur français reportait que pour l’année 2020, les violences conjugales avaient augmenté de 10%. 87% de ces violences sont à l’encontre des femmes. Comment expliquer cette hausse ?

Camille de Decker : Je pense que la situation sanitaire n’a pas du tout aidé les femmes à en parler et à dénoncer les violences qu’elles subissaient. Le confinement joue certainement un rôle là-dessus.

Stéphane Bourles : Si on enferme des personnes chez elles, les tensions montent automatiquement. D’ailleurs, on a vu aussi les divorces grimper en masse, c’est forcément lié.

Camille de Decker : Soit ce sont les naissances, soit les divorces, cela dépend des couples.

Parallèlement 102 femmes ont été tuées par leur partenaire en France en 2020 contre 146 en 2019. Les chiffres de féminicides seraient également en baisse en Inde ou au Royaume-Uni en comparaison avec la même année. Comment expliquer ce paradoxe ?

Stéphane Bourles : Peut-être que l’éducation commence à payer un peu.

Camille de Decker : Peut-être qu’il y a aussi des femmes qui en parlent plus facilement et plus vite, avant que le pire ne se produise. Puisque ça peut être le conjoint, le père, le frère, les violences faites aux femmes ne concernent pas uniquement le cercle du couple. Il y a probablement des femmes qui arrivent à se libérer à temps de ce danger là. Je souhaite néanmoins que ce soit cela.

Dans le monde, y a-t-il des actions, initiatives ou dispositifs mis en place qui montreraient des résultats tangibles dans la réduction de ces drames ?

Camille de Decker : Je pense qu’il y a de nombreuses actions et diverses associations comme Solidarité Femmes – qui regroupe soixante-treize associations – qui luttent pour la sensibilisation, ainsi que pour l’aide apportée aux femmes par la suite. L’aide au logement, une aide financière, une aide à la reconstruction psychologique. Il y a de nombreuses initiatives qui participent à la réduction des violences et des féminicides.

Stéphane Bourles : Si l’éducation était correctement inculquée dans les familles. Si les parents enseignaient à leurs enfants, tout jeune, que la violence c’est non, déjà ça chuterait colossalement. L’ennui, on le sait aussi, c’est que les enfants sont victimes de beaucoup de violences de la part de leurs parents. Quand ils grandissent, ils retranscrivent cette violence sur leurs enfants et sur leur conjoint·e. Il faudrait agir dès le départ sur cet engrenage.

Camille de Decker : Si les parents procèdent mal, ils ne transmettent pas les bons modèles aux enfants.

Et quel est le rôle des écoles ?

Camille de Decker : C’est un sujet qui est dur. Il faut aussi bien faire la part des choses, puisqu’il y a certains parents qui pensent que les enseignants sont là pour éduquer leurs enfants. La réponse est non. Les professeurs sont là pour enseigner une culture, apporter des bagages et ce sont les parents qui doivent se charger de l’éducation. Évidemment, il y a des modèles qui doivent être corrigés à l’école, comme les enfants qui se battent ou ce type de choses. Je pense que le rôle incombe surtout aux parents, qu’il y a une responsabilité de la part de la famille dans les messages qui sont transmis, puis retranscrits dans le comportement de leurs enfants. L’école joue aussi son rôle mais elle n’est pas là pour éduquer à mon sens.

Stéphane Bourles : C’est très jeune qu’on intègre les codes de la violence ou du pacifisme.

Au sein de nos sociétés occidentales lorsque l’on pense aux violences commises à l’encontre des femmes, ce sont souvent les drames intrafamiliaux qui viennent à l’esprit. Selon l’Unicef, au moins 200 millions de femmes et de filles dans une trentaine de pays seraient victimes de mutilations du type excision ou infibulation. Leur nombre serait de 125 000 en France et repartent, hélas, à la hausse. Est-ce traité dans votre ouvrage ?

Camille de Decker : Oui, on a une nouvelle sur l’excision. C’est un sujet qui a été abordé. On n’en a cependant pas reçu énormément qui traitaient de ce sujet-là. On l’a prise parce que c’était un autre point de vue, une autre dénonciation de la violence faite aux femmes.

Aviez-vous dans vos collections des ouvrages similaires ?

Camille de Decker : De ce côté-là, qui traitaient vraiment des violences à l’encontre des femmes et qui avaient cet objectif de sensibiliser, non. C’est Stéphane qui m’a proposé le projet. J’ai été ravie puisqu’on est de surcroit une équipe éditoriale exclusivement féminine. Je ne voyais pas pourquoi lui dire non. C’est vraiment un sujet qu’on n’a pas développé dans d’autres romans. On est plus une maison d’édition habituellement axée sur les romans de genres. On est davantage sur des sujets non pas moins sérieux mais plutôt divertissants. Il y a certains livres qui traitent de sujets difficiles mais on n’était pas dans une optique de sensibilisation.

Est-ce une ligne que vous souhaitez continuer à développer ?

Camille de Decker : On va voir si ça se passe bien. Si on rencontre de nouvelles associations avec d’autres thèmes qui nous sont importants, qui nous tiennent à cœur. C’est très bien de mener ce genre d’actions, il le faut, mais il faut aussi que le lectorat soit plus réceptif à l’acte et qu’il réponde favorablement. Si c’est le cas, oui ce sera avec grand plaisir évidement.

On ne peut aujourd’hui qu’espérer que la multiplication d’œuvres culturelles qui mettent en relief les atrocités des violences sexistes et sexuelles permettront de faire bouger les lignes sur ce véritable fléau.

Loin du Cœur, les lignes s’écrivent pour dénoncer les violences à l’encontre des femmes

Déc 2021

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