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Oct. 10, 2020

Journal d’une coronée

 

25 septembre 2020.Dans ma vie tout allait bien. A Paris il faisait beau, chaud, et on profitait du dernier Spritz de l’été. Dans ma vie, tout allait bien, jusqu’au jour où…

 

 

” – Ils ont changé la recette de leur gaspacho Alvalle ?

 

– Non pourquoi ?

 

– Ah bah il est périmé.

 

– Pourquoi ?

 

– Bah j’sais pas, il a pas de goût !

 
 

Je prends une gorgée de vin ; de l’eau qui pique la gorge. Je mange un bout de viande ; du plastique « C’est pas normal, c’est pas juste un rhume, t’as sûrement le corona, il faut que t’ailles te faire tester ». En une seconde, à cause de ce putain de gaspacho, tout est parti en couille. Aussitôt, la panique. Je me retrouve à appeler tous les laboratoires de Paris.

 
 

” – Pas de rendez-vous avant le 30 octobre.

 

– Mais monsieur, dans quatre semaines je n’aurai plus le corona !”

 

Silence.

 

 

Enfin, après vingt appels désespérés, un laboratoire me répond « Oui, on fait des tests jusqu’à 15h, venez quand vous voulez ». Aussitôt, j’enfile mes chaussures, mon masque, et hop, je me précipite à Porte d’Italie pour faire la queue sous la pluie pendant… cinq heures ! Si je ne l’avais pas, c’est sûr que maintenant je l’ai, au milieu de tous ces gens entassés qui toussent dans tous les sens. Au mieux, j’ai chopé la crève sous la pluie.

 

Passé les cinq heures, j’atterris sur le fauteuil maudit. « Vous venez pourquoi ? Ah, plus de goût… », la grimace qu’elle me lance m’achève. « Vous inquiétez pas, ça fait pas mal, c’est comme quand la moutarde vous monte au nez ». Je suis pas une experte, mais je suis pas sûre que la moutarde remonte aussi loin. Je lâche deux petites larmes – à cause du coton-tige dans le cerveau ou parce que je suis à bout de nerf ?

Puis je rentre – toujours sous la pluie – et j’attends, j’attends, j’attends, à moitié dans le déni, à moitié dans le stress.
 

 

 

Le soir, je me sers une grosse cuillère de moutarde de Dijon, toujours rien, mais mes yeux, eux, pleurent. Fonctionnel de ce côté-là. RAS.

 

 

 

Le lendemain midi, un numéro bizarre m’appelle « Bonjour, suite à votre test du covid-19, nous voulons vous prévenir qu’il est positif ». Tout s’arrête. Positive ? Moi ? Pourquoi moi ? Qu’est-ce que j’ai fait ? Merde. Merde, merde, merde.

 

Je prends alors conscience que ce qui agite le monde depuis plus de neuf mois est réel. Y’a vraiment un tocard qui a bouffé du pangolin à Wuhan, et il est arrivé jusqu’à moi, 18 rue de la Butte aux cailles.

« Qu’est-ce que je dois faire ? – On vous rappellera demain, d’ici là vous devez faire une liste de tous les gens que vous avez vu cette semaine plus de 15 minutes sans masque ». Le monde s’écroule. J’ai vu cinq de mes potes, ma mère, mon frère, mes grands-parents, mon boss, ma voisine, ma psy, mon prof de yoga, j’ai même vendu un meuble à un mec sur le boncoin… j’ai contaminé tout Paris !

 

Choquée, je tombe sur mon lit. « Vous devez rester minimum sept jours enfermée et ensuite vous pouvez ressortir en respectant les gestes barrières. » Sept jours. Seule. Enfermée, pendant que le monde lui, continue.

 

 

 

 

J1 

 

Le premier jour, je commence ma liste.

 

Cette semaine j’ai vu : un pote qui est allé ensuite à un mariage, une amie dont la mère a le parkinson, ma mère diabétique et mes grands parents de 90ans. Bon. Minimum quatre morts. Je m’arrête ; des morts. Des gens que j’aime, morts, à cause de moi… C’est idiot mais c’est la première fois en vingt trois ans d’existence que je prends conscience de ce que réellement ça implique, la mort. Ces gens pourraient mourir, disparaître, et par ma faute. Leur vie anéantie et ma vie gâchée, à tout jamais.

 

Tout ça à cause de ce fichu gaspacho. Je respire. Ne pas paniquer avant le résultat de leurs tests. Comment penser à autre chose ?

Putain, j’ai le corona.

 

 

 

 

J2

 

Le deuxième jour, je préviens tout le monde, les concernés, mais aussi mes amis, pour leur expliquer pourquoi je ne serai pas à l’apéro de samedi.

 

C’est amusant, la réaction des gens. Il y a ceux qui immédiatement me demande comment je vais « et alors, t’as une forme grave ? Tu respires bien ? Je sais que t’es asthmatique, mais ça va ? ». Et puis il y a ceux qui, sans même s’en rendre compte, commencent par « Oh mon dieu, on s’est vu la semaine dernière ? », qui pensent d’abord à leur pomme. C’est triste, mais au moins, on voit sur qui on peut compter.

 

Et puis y’a ma meilleure copine – vous savez, celle dont la mère va peut-être mourir par ma faute – qui m’appelle tous les jours en Face time pendant des heures, pour regarder The Voice Kid avec moi et pleurer quand les coachs se retournent pas.

Voilà, au-moins ça m’aurait permis de faire un peu le tri.

 

 

 

 

J3

 

En attendant le résultat des tests de mes grands-parents, je n’ai rien d’autre à faire que de dormir treize heures par nuit – ça fatigue d’avoir le corona hein.

Est-ce que j’ai toussé en face d’eux ? Est-ce que je me suis mouchée chez eux ? Et surtout… qui a bien pu me le refiler ? Et voilà la parano qui débarque :

 

Vendredi soir… j’ai fait un combat de catch de sumo au Lucha Libre. Jeudi, j’ai pris le métro avec un SDF qui crachait ses poumons sans masque, et je n’ai pas osé changer de rame pour ne pas le vexer. Et dire que des gens vont peut-être mourir parce que j’ai pas voulu vexer ce SDF.

 

Mercredi, un enfant de cinq ans m’a prêté son pull dans le train parce que j’avais froid. J’ai découvert qu’il avait raté l’école cette semaine. Apparemment, il était fiévreux. Ces images tournent et retournent dans ma tête, ça pourrait être n’importe qui, n’importe quand.

 

Pourquoi j’ai pas fait attention comme tout le monde ? (tout le monde fait vraiment attention ?).

 

 

J4

 

Le lendemain, je me rends compte que mon frigo est vide.

 

J’enfile mon meilleur masque et file au G20 du coin. C’est excitant. Personne ne sait que je suis positive. En une seconde, je pourrais tousser sur quelque chose et contaminer quelqu’un… Etonnamment, je me sens spéciale, toute puissante. Comme si j’avais un super-pouvoir. Personne ne connait ma vraie identité… la coronée. Si quelqu’un m’embête, est con ou raciste, je lui tousse dessus !

 

Je me vois me diriger à la librairie, au rayon des journaux-fascistes et m’imagine cracher dessus de toutes mes forces, luttant contre les forces obscures de la connerie.

 

 

 

 

J5 

 

J’ai jamais eu autant de temps pour cuisiner, alors j’en profite : Je coupe les oignons, je mets le basilic, un peu d’échalote, miam une salade de carton. A chaque fois, j’oublie que je n’ai plus de goût.

 

Pour fêter mon cinquième jour enfermé, je décide de me faire des pâtes-thaï, avec des épices, de la sauce-soja, du miel, des cacahuètes. C’est gluant, un peu croquant parfois, mais toujours rien. Je pleure dans mon assiette. Bientôt, mes pâtes sont inondées, c’est devenu une soupe Pho.

 

Ça ne m’a jamais rendu aussi triste de manger. Rien n’a de saveur, de couleur, tout est terne. J’ai l’impression d’avoir perdu quelque chose de moi, un bout de ma perception du monde, que je suis incomplète, comme s’il y avait un bug informatique dans mon corps.

 

 

 

 

J6

 

Ça fait six jours que je suis enfermée. J’ai fait le tour de mon lit, de ma douche, d’Instagram, de Netflix, de mes livres et même de Webtoon (me demandez pas ce que c’est, s’il vous plait, vraiment). Je fixe le plafond. J’ai remarqué qu’après douze minutes, il devenait plus foncé.

 

Bref, je suis seule. Seule avec cet affreux rhume. Et je sens que c’est pas un rhume normal ! Mon nez ne coule pas, mais quelque chose est comme coincé. Je respire normalement, mais je tousse, et quand je tousse, je commence à stresser, à me dire « ça y est, c’est la forme grave qui arrive ». Et parfois, quand ça arrive, je me mets à avoir peur de la mort. Après tout, je suis seule dans cet appartement et personne ne m’attend. Si je m’étouffe, je mourrais toute seule, enfermée, oubliée. Cette pensée m’asphyxie, me serre la gorge, alors j’ouvre la fenêtre pour respirer, mais comme un malheur n’arrive jamais seul, il pleut des cordes et j’ai l’impression que tout le monde me regarde et me sait coupable.

 

Il faut attendre.

 

 

 

 

J7

 

Plus qu’un jour. Ce matin, j’ai appris que tous les tests de mes cas-contacts étaient négatifs. Tous. Je n’arrive pas à y croire, c’est comme si Dieu s’en était mêlé. Je retrouve peu à peu le goût, maintenant je sens ce qui est salé, sucré, acide. C’est un début.

 

A force d’être seule, je découvre mon vrai visage. Maintenant, je pleure devant The Voice kid même quand ils se retournent, et je ris aussi, les deux en même temps en fait. C’est plutôt étrange, mais je sens que je ne fais pas semblant.

 

Ressortir va être une vraie libération. Je vais passer mes journées dehors, c’est sûr, et je pourrai sortir mon bout du nez du masque, puisqu’on ne peut pas être malade du covid deux fois. Et ça, c’est vraiment cool. (Enfin c’est ce que mon médecin m’a dit. Vous me direz sûrement le contraire mais j’écouterai pas).

 

Quand le mec au téléphone m’a dit de rester enfermée sept jours et pas quatorze, ça m’a étonné, mais apparemment il n’y a aucun cas de contamination après huit jours…

 

Vous avez un jour pour tous vous mettre à l’abris ! J’arrive !

 https://www.govoyages.com/blog/2015/08/14/recette-gaspacho-andalou/

 

Journal d’une coronée

Oct 2020

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