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Le Carnaval de Rio ou la célébration de la vie
Au Brésil, contrairement à la France, il n’y a pas de culture de la Révolution, les brésiliens ne vont pas dans les rues pour manifester quand ils ne sont pas d’accord avec le gouvernement. Voici quelques mois que Bolsonaro a été élu et le discours dans les rues est toujours le même, mais personne ne fait rien. De temps en temps, quand même, on entend un slogan, qui se répand comme une vague : « Bolsonaro, pau no seu cu » (littéralement « Bolsonaro, une bite dans ton cul »). Si le Carnaval est une fête, une célébration, c’est aussi le moment où le peuple se réunit et peut se faire entendre, mais toujours dans la joie.
Pour tenter d’imiter les Marseillais, on a décidé de se rendre à Rio pendant le Carnaval pour découvrir en direct cet évènement tant fantasmé en Europe. Orpheo Negro, le dessin animé Rio et pleins d’autres images carnavalesques imprégnaient nos rêves depuis notre enfance.
Il faut d’abord savoir que le Carnaval est la plus grosse fête du pays, elle a lieu le plus souvent en février ou début mars et les blocos (petites fanfares des rues organisées par les habitants, suivie d’un cortège dansant : le carnaval des ‘pauvres’) commencent trois semaines avant les festivités.
Tout le monde peut participer au défilé, il suffit de s’inscrire et de participer aux cours de samba durant l’année. Chaque école choisit un thème que les costumes, les chars, les danses et les chants vont représenter. Cette année, on a vu, entre-autre, des écoles de samba représenter des films Disney comme Pirate des Caraïbes ou La petite sirène. A l’issu de ces multiples parades qui durent toute la nuit – non, les cariocas ne dorment pas de la semaine – un classement est donné et une école est nommée grande championne. Les participants doivent reprendre en chœur les paroles de la Samba do erendo (chant crée par les écoles de samba sur le thème qu’ils ont choisi) mais aussi danser parfaitement tout en veillant à ne pas perdre une pièce de leur costume. Si tout cela est respecté, l’école ne perd pas de points. Le jury note la prestation, les costumes, les chars, la musique et l’harmonie du groupe. On n’a pas pu assister à cette parade, elle est réservée aux plus fortunés et est inaccessible pour la majorité de la population brésilienne. Une place, d’où l’on aperçoit souvent que de petits points lumineux, qui coûte une centaine d’euros. On a donc décidé de nous rendre au cœur du Carnaval local, celui des rues, les blocos cariocas (de Rio), qui font de cette ville pendant plus d’une semaine, un feu d’artifice de joie et de couleurs et une véritable célébration de la vie.
Ici, il fait chaud, lourd et humide. L’air déjà nous plonge au cœur d’une atmosphère dense et fiévreuse. Nous sommes hébergés chez des Carioca, des ‘locals’ comme ils aiment à s’appeler en français. Il est 6h, et c’est déjà l’heure de se costumer pour partir à un bloco. A peine le temps de déguster une Açai (délicieuse glace au fruit- extrêmement sucrée- qu’ils mangent avec du chocolat et des céréales en guise de petit déjeuner) que déjà on se retrouve dans la rue. Il est très tôt et le soleil frappe déjà comme s’il n’y avait pas de couche d’ozone (n’est-ce pas presque le cas ?).
On rejoint notre premier bloco à Botafogo (quartier bobo de Rio), folles de joie. Là, une véritable palette nous attend ; adultes, enfants, vieillards, en rose, bleu, vert, rouge, violet, jaune. De toutes les couleurs ! Un arc-en-ciel de joie. On marche dans l’avenue sans voitures, suivant deux personnages sur des échasses, l’un joue de la trompette et l’autre tient une grande enceinte dans ses mains. On se joint à la foule, suivant la musique et le rythme des danses, entrainées malgré nous par la vague déferlante d’énergie et de vie. 9 heures, 10 heures, les minutes défilent et tournent en rond comme de petits esprits fous. Ils nous filent entre les doigts, on n’a pas le temps de les attraper. Notre corps n’est déjà plus qu’un immense coup de soleil.
On s’arrête très vite sous des arbres près de la plage pour respirer un peu. Tandis que les paillettes se mêlent à notre transpiration, une petite fanfare se met à jouer au cœur de la foule.
Heureusement la fièvre de la fête et de la danse nous fait oublier la chaleur. Il doit faire plus de 30 degrés sous les arbres mais tout le monde est à moitié nu, les hommes comme les femmes. Les costumes sont plus magnifiques les uns que les autres, ils célèbrent le corps et leur liberté. Ils célèbrent la vie. Il n’y a pas de tabou, pas de pudeur. Les femmes sont en string, seins nus parfois, les paillettes comme seul déguisement. Et elles n’ont pas peur car elles ne sont pas seules. C’est la liberté totale des corps. Certaines portent des badges ou des tatouages où est marqué « No è no » (Non c’est non). Cette vague de prévention contre le viol est réjouissante, elle fait croire à un monde nouveau, où les femmes pourraient faire la fête comme les hommes, sans avoir peur. Mais c’est aussi et surtout la preuve que le problème demeure toujours, malgré cette grande libéralisation du corps féminin. On sent la force de ces femmes qui, à travers leurs costumes, retrouvent leur âme d’enfant.
Mais le travestissement est en réalité un moyen de se retrouver soi-même, un moyen de retirer son masque social pour en revêtir un que l’on choisit, un masque enfantin, un masque joyeux, un masque de fête. Tout le monde peut être qui il veut, une femme, un animal, une princesse, une fleur, une idole…
Et c’est aussi la libération des relations humaines. Chaque personne devient ton meilleur ami et tu n’es jamais seul. Il n’est pas seulement question de bonne humeur mais d’affection, de tendresse, de bienveillance. Tout le monde descend dans la rue pour le Carnaval ! Les vieilles personnes comme les enfants, et tout le monde est respectueux de l’autre. Rien à voir avec les fêtes de Bayonne par exemple, d’où il est impossible de revenir entier. Avant de partir on nous disait : « Rio ? C’est super dangereux, alors imagine pendant le Carnaval ! », mais à chaque coin de rue, à chaque place, dans chaque métro, il y a une patrouille de flic. Au début, ça paraît étrange, puis on oublie, et très vite, on n’arrive même plus à savoir si ce sont de vrais policiers ou des déguisements. Tout est surveillé, millimétré, et au moindre débordement, ils n’hésitent pas à intervenir. D’abord car Bolsonaro a multiplié les mesures de sécurité dans la ville mais aussi car il faut garantir la sécurité des touristes pour qu’ils reviennent
On traverse une favela. C’est étrange ce contraste entre la joie de notre procession et le regard lourd des habitants qui nous suit. Certains habitants des favelas descendent en ville pour faire leur business ; ils vendent des fleurs à se mettre dans les cheveux, de l’eau, des Caïpirinhas à deux euros, et des cervejas glacées. Ce n’est pas une fête pour eux, c’est une aubaine, et ils font leur chiffre de l’année. Merci gringos et gringas. On mange un mini sandwich de feijo gras et salé – notre théorie est que cette tendance à tout manger trop salé et trop sucré intensifie leur mode de vie, et fait que les brésiliens vivent tout à 200 à l’heure.
Et une fois qu’il fait nuit, la fête continue bien sûr : On suit le cortège jusqu’à la place maùa Pedra do sal, où on danse au rythme de la samba des fanfares. S’il existe des Carnavals dans chaque ville, à Sao Paulo, Brasilia, Salvador… celui de Rio est réputé pour être le meilleur et tout le Brésil s’y réunit pour l’occasion. Plus tard dans la nuit, nos amis cariocas nous invitent à une soirée secrète, cachée, que seuls les « locals » connaissent. On entre dans un univers parallèle : la musique n’est plus de la samba mais une techno enivrante, les lumières dans les arbres créent une atmosphère fantasmagorique où la fumée rend tout irréel. Tous dansent, à moitié nus, dans tous les sens, comme si la folie les possédait. On est au véritable cœur du Carnaval de la nuit. Les ombres nous hypnotisent et l’obscurité nous enveloppe dans une transe brésilienne. Tout le monde s’embrasse, tout le monde s’aime. Il n’y a plus de sexes mais des corps, qui s’abandonnent dans la danse. Cette soirée restera inoubliable. Nous étions pour la première fois totalement libres, notre corps et notre esprit en parfaite harmonie.
Le lendemain, On a décidé de suivre un bloco familial d’un milieu populaire. L’atmosphère y est légèrement différente ; La ville entière défile dans les rues et ceux qui restent chez eux jettent de l’eau par les fenêtres pour nous rafraîchir. Un bébé, déguisé en sirène, se trémousse dans les bras de sa mère au rythme des trompettes. Tout le monde a arrêté de travailler pour participer au défilé de son quartier. Ils chantent tous en cœur des chants traditionnels que nous ne connaissons pas.
Puis, curieuses, on s’est rendu à une parade de touriste, à Ipanema, la plage la plus connue après celle de Copacabana. Là ce n’est plus une petite fanfare mais un véritable char techno d’où retentissent des basses tonitruantes, qui se mêlent aux bruits des vagues. Il n’y a que des jeunes et là, il faut faire attention à ses affaires, car les jeunes de favelas ne font pas que vendre à la sauvette…
Finalement, on a vécu tous les différents univers du Carnaval de Rio, du bloco populaire à la soirée sauvage, jusqu’au char de touristes. On a traversé cette fête géante, qui imprègne toutes les couches sociales de la ville pour les faire sortir de leur vie quotidienne.
La musique résonne encore dans nos esprits et nos rêves, et plus jamais, aucune fête, ni aucun festival ne nous paraîtra aussi puissant que cette immense célébration de la vie.
photos et récit © Mahaut Adam
Le Carnaval de Rio ou la célébration de la vie
Juin 2019