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Juin. 13, 2020

Carnet de route dans le Donbass

Une femme rentre chez elle en portant ses courses tout près de la ligne de front. (Donetsk, 2018)

 

 

“Septembre 2019. Je quitte Paris en direction de l’Ukraine. C’est pour moi la première expérience photographique en zone de conflit. Je n’ai aucune idée de la situation sur place, si ce n’est que le leader a été assassiné en pleine ville deux jours plus tôt et qu’une guerre civile secoue la région depuis 2014. Casque et gilet pare balles sur le dos, 90 pellicules dans mon sac, je débute un voyage de trois jours pour me rendre au cœur de la nouvelle République Populaire de Donetsk (RPD).”

 

André, ancien journaliste en Ukraine, aujourd’hui démineur. (Donetsk, RPD)

 

L’aéroport de Donetsk étant détruit, le petit groupe de photographes que nous sommes doit emprunter les voies terrestres. Lors du passage du dernier checkpoint avant Donetsk, nous sommes arrêtés et fouillés pendant plusieurs heures. Les soldats ukrainiens tentent de se saisir de notre matériel ainsi que de nos gilets pare-balles et de nos casques. Nous nous en sortons de peu grâce à l’ingéniosité de notre chauffeur Sergueï.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Nous parvenons à Donetsk, un appareil photo en moins chacun, gilets pare-balles et casques laissés de l’autre côté de la ligne de front. Nous ne récupérerons que les appareils par contrebande deux jours plus tard.

 

 

 

 


Valentin Lecron. (RPD, 2018)

 

 

Notre fixeur arrange les rencontres, nous accompagne au front ou dans les villages abandonnés, et fait au mieux pour régler les différents problèmes. Il me permet de rencontrer un second Sergueï, ancien dresseur canin, aujourd’hui dirigeant du club patriotique militaire pour enfants de Mospino.

 

 

Sergueï. (Mospino, RPD)

Démonstration au club militaire patriotique. (Mospino, RPD)
Pendant que les enfants démontent une AK-47, l’un d’eux est recroquevillé dans le coin de la pièce. (Mospino, RPD)

 

 

A un checkpoint, un soldat du DPR brandit son AK-17 et nous arrête. Nous sommes dans un 4×4 blanc marqué de l’indication «Press». Je suis à l’avant, il me regarde par la fenêtre  : « Do you speak English ? ». Moi, hésitant : « … Yes. ». De la tête, il nous fait signe de continuer notre route : il semble que j’ai passé le test. (Gorlivka, DPR)

 

 

 

 Soldat au front. (périphérie de Donetsk, RPD)
 Sur l’affiche, A. Zakharchenko, assassiné en centre-ville deux jours avant notre arrivée. (Donetsk, RPD)
 

 

 

 

La ligne de front déchire le paysage en larges tranchées, parfois renforcées de bois. Cette guerre de position durent depuis maintenant 4 ans. Sur le front, l’ambiance est calme. Parfois, un tir d’obus vient briser le silence, sans que nous sachions de quel côté il a été tiré.

 

 

 

Tranchée militaire. (Position militaire, RPD)

William Keo, photographe. (Position militaire, RPD)

Mannequin destiné à tromper les snipers. (Position militaire, RPD)

Nous nous arrêtons avant de traverser une voie de chemin de fer. Le soldat de liaison nous interpelle : “il y a peut-être un sniper posté de l’autre côté. A mon signal, baissez la tête et courez sur 40 mètres. Si vous entendez un tir, couchez-vous.” (Périphérie de Donetsk, RPD)

 

 

Nous nous rendons sur le site où le 17 juillet 2014, le Boeing 777 opérant le vol de Malaysia Airlines reliant Amsterdam à Kuala Lumpur a été abattu dans la région de Donetsk. Chacun des partis accuse l’autre d’être l’auteur du tir de missile sol-air qui a fait 298 victimes.

 

 

Sur la photo, Hugo à gauche, William au centre et Hervé à droite. (Donetsk Oblast, RPD)
 

 

 

Des scènes de joie et de tendresse viennent heureusement ponctuer la violence du quotidien. Nous rencontrons une petite communauté de femmes vivant seules dans un bunker souterrain depuis 4 ans. Sans pouvoir nous parler, nous échangeons des regards et des sourires, avant de repartir.

 

 

Les femmes du bunker. (Nord de Donetsk, RPD)

Bunker souterrain. (Nord de Donetsk, RPD)

Les femmes du bunker. (Nord de Donetsk, RPD)

 

 

Nous assistons à une commémoration militaire sur la colline de Saur Mogila où eurent lieux deux victoires décisives, en 1943 sur les armées nazies et en 2014 sur les forces gouvernementales ukrainiennes. Familles, militaires, politiques, et représentants religieux sont présents.

 

 

Recueillement en l’honneur des défunts devant la chapelle de Saur Mogila. (Saur Mogila, 2018)

Un soldat vétéran et sa fille pose pour la photographie. (Saur Mogila, 2018)
Soldat préparant leur parade. (Saur Mogila, RPD)

 

Un jour avant notre départ, je laisse l’ensemble de mes pellicules à un intermédiaire afin qu’il leur fasse passer clandestinement la frontière. Emballé soigneusement dans ce qui ressemble à des briques de lait, mes films doivent passer les checkpoints au milieu des denrées alimentaires via un convoi humanitaire.

 

 

Sergueï et sa Mercedes, sur le parking où je récupère enfin mes pellicules. (Proche Donetsk, côté ukrainien)

 

 

Originaire de RPD, ce soldat est passé côté ukrainien. (Kramatorsk, Ukraine)

 

 

Le dernier jour avant notre retour, nous sortons boire quelques bières. J’abandonne mes compagnons pour rentrer tôt et profiter d’un longue nuit. Un téléphone sonne aux alentours de 1:30 : deux des membres de l’équipe sont restés en ville. L’un d’entre eux s’est perdu dans Kharkiv, ivre, sans son téléphone. Notre avion pour la France décolle à 13:30, nous commençons donc une chasse à l’homme dans la ville pour le retrouver.

 

Elle se terminera vers 10:00 du matin, avec les pleurs de notre collègue qui nous appelle depuis une ligne inconnue : seul, sans argent et surtout sans souvenir à l’aéroport de Kharkiv.”

 

 

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Ce photo-reportage est un extrait issu du travail de Yegan Mazandarani, “Parias” et plus particulièrement de la série “Témoins”, retraçant à la manière d’un carnet les coulisses de son dernier voyage dans le Donbass. Ses images, réalisées à la pellicule en noir et blanc, seront exposées à Paris, Berlin et Téhéran cette année et accompagnées de textes et d’entretien dans son livre à paraître en 2020. Pour soutenir la sortie de son livre photo Parias, dont Yegan nous livre ici des extraits, une campagne ulule est lancé qu’il faut soutenir grandement, pour un journalisme indépendant et qualitatif.

 

www.yegan-mazandarani.com – www.instagram.com/yeganmazandarani

 

 

 

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Juin 2020

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