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Mai. 10, 2018

Tecknival 2018 : le teufeur et son environnement naturel

 

Ces deux dernières semaines, tant de célébrations nous ont éclaté au visage : les 75 ans de la création du LSD, le 50e anniversaire de mai 68, et ce 25e anniversaire des Teknivals, le plus jeune mais le plus dérangeant. Car même s’il se trouvait à deux heures de route de notre belle métropole luisante et éclatante, il nous dérange malgré tout, nous, parisiens, qui comme tout le monde le sait, se représentons mondialement la France sous sa forme la plus envieuse : celle où tout ce qui n’est pas baguette ou vin mousseux accompagné de foie gras ne donne pas honneur à la classe française. C’est ainsi qu’au milieu des immigrés, des pauvres, des terroristes et des clodos, se balade en tout impunité le teufeur.

 

 

Magali Rifflart-Villeneuve

 

 

Faisons un brin d’analyse historique et sociale de cet individu. Le teufeur est apparu dans les années 1990, au cœur de l’émergence outrancière de la techno dans notre beau pays, épine nuisible dans une botte du bon goût. D’abord se mouvant en meute fine, il s’est vite multiplié et se déplace maintenant par milliers dans des lieux désaffectés pour se balancer de droite à gauche pendant des heures. Il tient cette posture désarticulée grâce à la prise massive de drogue. Mais le teufeur ne prend pas la même drogue que l’on trouverait dans les boîtes de nuit, ou même les boîtes de publicité. Non, elle n’est pas étalée sur le ventre d’une escorte aussi blanche que la coke des bonnes gens, elle ne tombe pas malencontreusement sur une cravate de soie et ne finit pas dans des cuvettes en porcelaine. Elle est prise pour sentir la musique s’amplifier et vivre une expérience d’ouverture et de partage…

 

<merci d’insérer une phrase assez sarcastique pour être comprise de tous>

 

 

Si le teufeur la veut, c’est pour écouter des rythmes quantifiés en « battements par minutes ». Là encore, on ne comprend pas l’intérêt de savoir comment notre cœur pourrait battre s’il fusionnait avec des ondes sonores. Mais lui, il ne peut apprécier une musique au rythme en deçà d’une certaine vitesse, il se perd s’il ne peut classifier la musique à travers son BPM. Cependant, là où une oreille normale n’entendrait que du « boum boum » répétitif et désagréable, le teufeur peut reconnaître du hard core, du french core, de l’acid core, de la jungle, de la terror, de la hard tech, de la transe, de la high tech et autres phénomènes auditifs.

 

 

 

Magali Rifflart-Villeneuve

 

Le teufeur ne peut pas se conformer aux dogmes de la société capitaliste. Il cherche la gratuité de la fête, la gratuité du foyer ou la gratuité de la vie en communauté. C’est ainsi qu’il se retrouve à squatter des lieux pour faire la fête en toute illégalité. On saisit bien sûr la double signification de la free party : libre ET gratuite pour les usagers, mais coûteuse malgré tout pour les organisateurs entre le matériel sonore, l’essence pour les transformateurs, les saisies et les amendes des forces de l’ordre. C’est pour cela aussi qu’il vit dans un camion aménagé (qui ne sera d’ailleurs plus aux normes pour passer le contrôle technique à partir du 20 mai 2018), ou qu’il crée des espaces autonomes, où la survie ne se base que sur les connaissances de chacun et sur l’entraide : on pense aux zones autonomes temporaires coincées entre les ZAD (citons Notre Dame des Landes pour rester dans l’actualité) et les Rainbows (plusieurs existent en Europe, mais la France, l’Espagne et l’Italie en sont les premiers consommateurs), et autres paradis marginaux tels que Nimbin (Australie), Big Sur (USA) ou les nombreux écolieux (aussi appelés écovillages)  qui pullulent en France. On en conclut que le teufeur ne peut s’empêcher de contester l’ordre mécanique qui nous régie, malgré des engrenages qui ont incontestablement prouvé leur efficacité!

 

 

 

 

Magali Rifflart-Villeneuve

 

Prenons l’exemple de ce beau Teknival du 27 avril au 1er mai 2018 : après plusieurs mois de négociations entre l’État et les organisateurs, notre chère patrie a refusé de leur accorder un lieu et de la protection sanitaire, empêchant ainsi le respect mutuel entre leurs envies incontrôlées de faire la fête et la tranquillité des riverains. Elle a même eu la merveilleuse idée de réprimander davantage ce rassemblement, en ajoutant un autre décret encore à celui qui plombait déjà le premier en vigueur dans ce genre de cas : l’interdiction aux poids lourds transportant du matériel sonore vient s’inviter à l’interdiction des rassemblements de plus de 500 personnes à caractère musical. Les amendes sont lourdes, les gendarmes bloquent les voies et peuvent effectuer des fouilles aléatoires. L’efficacité du système de répréhension produit un résultat sans appel : la colère du teufeur et une organisation maximale de sa part. L’interdiction n’a pas pu empêcher le rassemblement et Marigny-Le-Grand, dans la Marne, a vu une suite de trois kilomètres de systèmes sonores ronronner pendant quelques jours. Quelques saisies, quelques débordements, mais rien qui puisse empêcher le peuple des teufeurs de venir exprimer leur soif de danse et de revendication.

 

Alors oui, le teufeur a choisi un site classé Natura 2000 (classification donnée aux sites français qui abritent une flore et une faune qu’il faut préserver) depuis 2005 pour piétiner (sur du béton, ceci dit). Mais notre spécimen perçoit la contradiction : il se dit tout simplement que les ondes du tapage de pied sont moins nocives aux orchidées et aux oiseaux, que le ciment qui surplombe les lieux depuis un temps déjà bien trop long, que l’autorisation de chasse sur le site ou les allers retours des hélicoptères qui couvrent aisément le niveau sonore d’un mur de 120 kilos. Il se dit aussi qu’il est propre et qu’il sait se gérer, mais c’était sans compter sur la gendarmerie toute puissante qui viendrait l’expulser pendant qu’il s’attèle à débarrasser le lieu des déchets, ni sur les informations nationales qui crieraient à la dégradation en insistant sur l’utilisation des impôts pour engager des entreprises de nettoyage. Surtout, il a investit ce lieu gardant en tête que s’il avait reçu le soutient de l’État, en choisissant avec lui un lieu plus adapté à la teuf, jamais il n’aurait risqué la prospérité des espèces ou la pollution de ce site.

 

 

Magali Rifflart-Villeneuve

 

Alors petit citoyen qui loue son État comme Pinocchio se fait trimballer mollement par Geppetto, n’oublie pas que le souhait du teufeur est avant tout d’exprimer une culture et de le faire du meilleur moyen possible. Mais ne t’étonnes point, si lorsque tu lui tournes le dos dans un geste dédaigneux, il te répond en dansant gaiement dans les champs. Qui est le sourd dans cette histoire ?

 

Texte et photos par Magali Rifflart-Villeneuve

Tecknival 2018 : le teufeur et son environnement naturel

Mai 2018

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