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Nov. 22, 2018

Conversation : “De Chatila nous partirons”

Pour comprendre le film De Chatila nous partirons, il faut connaître un peu l’histoire de ce camp de réfugiés palestiniens créé à Beyrouth en 1948. En 1982, le camp de Chatila et son voisin Sabra subissent d’horribles massacres. Durant trois nuits, des miliciens des phalanges chrétiennes libanaises pénètrent dans les deux camps, sous surveillance de l’armée israélienne et tuent hommes, femmes et enfants. La plus haute estimation du nombre de victimes s’élève à 3500 civils.

 

Aujourd’hui encore, il parait impossible de décrire ce massacre en quelques lignes, et pourtant, il fallait commencer par l’horreur de cet événement pour montrer toute la puissance du film d’Antoine Laurent. La génération qui a vécu la guerre et les massacres s’est doucement reconstruite. En rebâtissant Chatila, les habitants ont fondé l’espoir d’en partir… Dans le film, ceux qui se battent sont incarnés par Jalal et Tarek, Sobhe qui en créant l’école « Rêves de Réfugiés », ont décidé de reprendre en main l’éducation des enfants.

 

Conversation avec Antoine Laurent, le réalisateur.

 

 

 

 

 

 

MauvaisMagazine : Comment t’es venue l’idée d’aller tourner là-bas, à Chatila?

 

Antoine Laurent : Tout a commencé en 2002. J’avais 20 ans et je suis parti en Palestine dans une délégation de 50 jeunes à la rencontre de pacifistes israéliens et palestiniens. J’y ai rencontré Fernand Tuil (*). Il s’occupait notamment d’une association, l’AJPF, qui jumelle des camps palestiniens avec des villes françaises. J’ai été marqué par ce voyage et par cette rencontre. En 2012, j’ai réalisé un film sur la population kurde de Turquie, et lorsque je lui ai montré, il m’a dit que si cela m’intéressait, il pouvait me faire entrer dans le camp de Chatila. J’avais envie de parler de la Palestine et j’avais remarqué qu’il n’y avait pas beaucoup de films tournés dans les camps de réfugiés. Et pour cause, il est interdit de rentrer dans Sabra et Chatila pour les libanais, la police et les étrangers. Fernand m’a permis d’avoir un accès non seulement aux camps mais aussi à l’association de Jalal, Tarek et Sobhe.

(*à qui Antoine a dédié son film)

 

MM : Est-ce que ça n’a pas été compliqué de s’y faire accepter avec une équipe de tournage?

 

A : La première fois qu’on est allé dans le camp, on était en équipe très légère. J’étais au cadre et un ami au son, Adrien Birsinger. Pour l’anecdote, le jour de notre arrivée à Chatila, on nous a annoncé qu’il y avait eu un meurtre la veille. Du coup, on a suivi l’enterrement dès le lendemain dans les rues du camp dans une ambiance très tendue. À cette occasion, j’ai pu voir à quel point les gars de l’association étaient aussi un passeport d’entrée. Étant nés dans le camp, ils connaissent tout le monde et ils sont vraiment très respectés pour leur travail. Grâce à eux, ça a été moins difficile de poser notre caméra. Après c’est le temps qui a aidé, les rencontres qu’on a faites, jusqu’à ce que les gens s’habituent à notre présence. On n’hésitait pas à mettre la caméra sur pied dans les rues pour des séquences longues. On se levait très tôt le matin pour voir le camp à l’aube. Au bout d’un moment, les habitants se réveillaient et se couchaient avec nous. Ils se sont tellement habitués à notre présence qu’ils ont finit par nous oublier.

 

 

 

 

 

 

MM : Oui, ce que j’ai trouvé assez fascinant dans le film c’est qu’on sent vraiment que vous avez réussi à vous rendre invisibles. Surtout auprès des enfants… Il y a aussi des passages plus en caméra cachée pour rendre cet effet intime et à l’inverse des séquences vraiment mises en scène avec deux caméras.

 

A : Oui. En effet, comme le tournage s’est étendu sur trois ans, à chaque fois qu’on revenait j’avais envie de tester de nouvelles choses. Finalement, j’ai eu l’envie de monter le film en cinéma direct, sans voix off, ce qui nous a amené à chercher des extraits qui correspondaient à cette façon de filmer. Avec la monteuse ça a été un gros travail, mais c’est là qu’on a commencé à structurer l’histoire. Dans les rushs, on s’est mis à chercher une continuité narrative. Pour moi, le plus important c’était de faire une chronique de ce centre, tout en intégrant le travail de transmission et d’espoir. Je voulais mettre le travail des gars en opposition à ce lieu qui à priori ne permet ni d’espérer, ni de travailler calmement.

 

 

MM : Il y a aussi des personnages qu’on retrouve souvent dans ton film, particulièrement certains enfants. La jeune Alaa par exemple m’a beaucoup marquée. Notamment dans cette première scène lorsqu’elle se fait réprimander par les fondateurs du Centre. C’est une séquence très intense et très impressionnante en terme de mise en scène. Comment est-ce que tu as réussi à la réaliser?

 

A : En faite, Alaa je l’ai rencontrée très tôt, lors des premiers tournages. J’ai tout de suite eu envie de faire quelque chose avec elle, parce que c’était une fille très impliquée dans le Centre et qu’en même temps elle était dans ce passage changeant de l’adolescence. Quand je l’ai rencontrée, elle venait de perdre son père et en réaction, elle a commencé à faire des bêtises, à décrocher des cours. Alaa fait partie du Centre depuis le tout début et du coup les gars ont été très déçus, ils avaient fondé énormément d’espoir en elle. Elle cristallisait beaucoup de choses que je voulais aborder dans le film, sauf que lorsque je suis revenu pour le troisième tournage, elle n’était plus dans le Centre. Jalal, Tarek et Sobhe m’ont expliqué qu’elle n’avait pas profité de ce qu’ils avaient à donner et qu’ils avaient maintenant trop d’enfants pour faire du cas par cas. J’ai tout de suite senti qu’ils étaient dégoûtés de cette situation. J’ai donc utilisé le prétexte de mon film pour insister auprès d’eux et qu’ils la convoquent. Ils ont fini par accepter. Comme elle était déjà habituée à la caméra, j’en ai placé deux et filmé ce moment sans qu’elle ne me regarde. Quand elle baisse la tête, elle est vraiment énervée et j’ai accentué ça au cadre en faisant des gros plans. Ce n’était pas un moment d’ouverture, c’était un moment fermé et je voulais le marquer avec de vrais partis pris de réalisation.

 

 

 

 

 

 

MM : En plus, c’est aussi une bonne façon d’entrer dans le film parce qu’on passe de cette séquence très aérienne au-dessus de la ville au petit matin, à cette salle de classe. C’est ce moment de discipline qui nous amène vraiment dans le vif du sujet. Pourrais-tu nous parler un peu plus de ton désir lorsque tu as décidé de faire ce film et comment il a évolué au fur et à mesure de tes déplacements là-bas?

 

 

A :  Je voulais faire un film sur les réfugiés mais je ne voulais surtout pas qu’il soit le constat d’une situation terrible. Quand on vient dans les camps, on ne peut pas détourner les yeux de cette réalité. Mais je ne voulais pas que mon film s’arrête à ce constat. J’avais envie de donner la parole à des gens qui étaient actifs, en mouvement, alors qu’ils se trouve dans une situation figée. En effet, ça fait 70 ans qu’ils sont en attente.

 

Avec les années, je me suis rendu compte que le Centre en lui-même était une vraie soupape de décompression. Les enfants qui ne veulent pas rester dans la rue, avec tout ce que ça suppose, avaient la possibilité de trouver un refuge à l’Association. J’ai peu à peu remarqué que ceux qui restent dans le Centre, ont une vraie évolution : ils passent des diplômes, ils reprennent confiance en eux, ils s’épanouissent, et surtout ils ont des responsabilités à leur tour, dans le centre. C’est cette évolution qui génère de l’espoir. Et c’est aussi le mouvement du film.

 

 

MM : C’est vrai ; personnellement je n’avais entendu parler de Chatila que pour les massacres. Du coup, quand j’avais vu le titre de ton film je n’étais pas préparée à autant de positivisme. Surtout que tu montres cela de façon assez graduelle. Au début, il y a un peu de conflits, de violence dans les rues. On sent que l’espace du camp n’est pas un endroit forcément très sain pour les enfants. Et cette soupape de décompression, dont tu parles, est aussi très auditive dans ton film. À chaque fois qu’on est dans l’école, étrangement on a l’impression que c’est plus calme que dans le reste du camp. On perçoit bien à la fin que cette génération a plus de chance que la précédente.

 

A : Oui, c’est pour ça que je voulais faire venir en France Jalal, Tarek et Sobhe. Pour moi, ces trois jeunes, accompagnés de leurs femmes qui ont un rôle immense dans le centre, représentent la première génération de réfugiés palestiniens qui décide d’agir sur sa réalité. Ils ont compris que la situation était malheureusement partie pour durer. Eux, ont fait le choix de continuer à se battre pour que la situation progresse, pour obtenir un statut par exemple. En cela, ils sont pour moi le symbole de cette nouvelle génération. Dans les 12 camps de réfugiés palestiniens au Liban, il existe des groupes de jeunes qui s’organisent ainsi, petit à petit. Une génération charnière qui ne se reconnaît plus dans ses responsables politiques et qui a décidé d’agir sur son avenir.

 

 

 

 

 

MM : Qu’est-ce que tu attends de la sortie en France de ton film? Sur la vision que nous avons des camps palestiniens? Sur le futur de l’association?

 

A : J’espère que ce film amènera les gens à réfléchir sur la situation des réfugiés. Et au regard que nous portons sur eux. Pour les réfugiés palestiniens cela fait 70 ans que ça dure. Ils sont toujours dépourvus de statut et n’ont pas accès à de nombreux droits fondamentaux, comme le droit à la propriété par exemple.

En ce qui concerne l’association, Jalal, Tarek et Sobhe vont présenter le futur projet qu’ils souhaitent mettre en place à Chatila. Ils nous en parleront lors des soirées-débats qui sont organisées autour du film. Je suis très heureux qu’en plus du film on ait le privilège de les accueillir et pour le public, la possibilité d’échanger en direct avec eux. Un moment rare auquel nous vous invitons à faire partie !

 

Pour participer aux projections en Île-De-France, envoyer un mail à chatilalefilm@gmail.com 

C’est gratuit 😉

 

 

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