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Avr. 26, 2018

Ainsi squattent-ils

Société amère, bonjour.

Entre vivre et s’exprimer, il faut choisir. Si tu es un citoyen propre et bienséant, tu suivras ce que l’on te dit et tu poseras ton fessier sur la chaise bancale que l’on te tend. Sinon tu seras un acteur, ou, à défaut, un fervent admirateur des mouvements alternatifs qui poussent dans les pays développés. L’un d’eux, le squat : d’art, s’il-vous-plaît. Les autres on en parlera pas, ils gênent et sentent mauvais. Nous ce qu’on veut, c’est de la couleur et de l’innovation gratuite et facile à supprimer dans nos quartiers.

 

Squatter est un acte politique face à une société froide et sourde, qui revendique partage et création libre. En tant qu’enfants spirituels des Beats, Thoreau et autre Bey, baignants entre ZAD et TAZ, et en admirateurs de la création libre, marginale et dérangeante, les squatteurs créent des lieux qui répondent autant aux notions de l’hétérotrophie que de l’utopie pirate. Tous se rejoignent sur la nécessité de combattre le problème des logements abandonnés. Accumulation de biens immobiliers inoccupés par les plus riches, attente de réalisation de projets publics ou privés, oubli, absence d’héritiers, fuite des propriétaires… Autant d’aberrations dans des villes où il n’y a “pas assez de logements” pour tout le monde et où les prix sont constamment en hausse, ce qui est le cas de la ville de Paris. Pour se familiariser avec le squat, tout le nécéssaire à savoir pour ouvrir un squat se trouve dans un petit livret écrit par Intersquat. L’introduction est d’une clarté illuminatrice :

 

« Squatter, c’est occuper un bâtiment abandonné sans avoir demandé l’autorisation à son “propriétaire”. C’est, de fait, ne pas payer de loyer à des proprios qui possèdent plus d’un logement quand nous n’en possédons aucun. Squatter c’est critiquer en actes un système qui veut que les riches continuent de s’enrichir sur le dos des pauvres. Squatter, c’est aussi habiter au sens plein du terme : c’est être libre et responsable dans son lieu de vie. C’est pouvoir y faire ce que l’on veut sans se référer à un proprio qui de toute façon n’y vit pas. »

 

Andreaa Macea

 

Je me retrouve donc à parcourir Paris à la recherche de ces lieux mystérieux et hautement contestataires (donc dangereux, comme on l’a tous appris à l’école!). Aujourd’hui, j’ai trouvé au 33 rue Bouret, dans le 19ème arrondissement, un squat tout nouveau tout neuf : l’Espace 33. Au moment de l’intrusion dans l’antre désirée, il s’agit d’investir les lieux sans se faire repérer par les autorités, qui s’empresseraient de déloger grassement tous les occupants sans avoir à courir après un recours de la justice. Selon l’article 102 du code civil, « le domicile de tout français, quant à l’exercice de ses droits civils, est au lieu où il a son principal établissement. », ce qui devient le cas après un délai de 48h et rendrait « illégale » l’expulsion immédiate et sans procès. L’étape sera ensuite de réhabiliter le lieu pour qu’il convienne aux besoins des occupants, majoritairement des artistes. Ce fait s’explique par l’hostilité du monde de l’art envers les artistes. Andreea Macea, commissaire d’exposition, médiatrice culturelle et productrice d’évènements artistiques et culturels, implantée dans la sphère des squats artistiques depuis 7 ans, nous raconte :

 

« Un squat est un espace d’expression artistique libre. On revendique un lieu pour cette expression libre qui n’est plus soumise à un problème financier. De nos jours, la plupart des galeries sont des agences immobilières. En plus d’une commission des ventes qui peut aller jusqu’à 50%, l’artiste paye aussi la location des murs. C’est scandaleux! Plein d’artistes ne veulent pas faire ça ou ne peuvent pas le faire. Les squats leur permettent donc cette liberté de s’exprimer, de montrer leur travail, et de le travailler grâce à des ateliers. »

 

 

L'art des squats.

 

 

Ce lieu a ouvert fin novembre et propose déjà des évènements au public, tels que des ateliers, des portes ouvertes et des expositions hors les murs organisées par les artistes du collectif de l’Espace 33. Leur volonté est d’ouvrir leur lieu à des projets extérieurs menés par d’autres associations que leur collectif et partager ce qu’ils ont à offrir avec le plus grand nombre, même si ce bâtiment comporte des espaces intimistes. Hautement condamnable, donc! Qui voudraient de ces gens englués dans le partage dans un quartier si bien conservé de ces aberrations pacifistes! On l’aime notre individualisme maladif, grandement mis à l’épreuve par ce genre d’artistes de mauvaise qualité, tous autant qu’ils sont!

 

L’Espace 33 est un exemple de l’effervescence des squats d’artistes dans le quotidien parisien : « À Paris, les squats d’artistes sont plutôt bien reçus. Surtout si les artistes et les résidents qui gèrent le lieu ouvrent leurs portes à un plus grand public, à un plus grand nombre d’artistes qui ont besoin de travailler et de montrer leur travail. » L’art des squat n’offre pas la même qualité que celui que l’on trouve dans les galeries institutionnelles, et « malheureusement, l’image des artistes du squat c’est plutôt ça, celle de l’artiste médiocre », cependant « par le fait qu’il y ai une liberté d’expression, il peut aussi y avoir des artistes géniaux, originaux, qui ont un propos, et qui font vraiment de la recherche derrière. » Mais alors, si ces initiatives grotesques fleurissent, fini notre confort! On ne pourra plus multiplier nos propriétés pour nos extravagants délires de vacances! On ne pourra plus jouer avec le marché de l’art! C’est tellement divertissant de faire acheter des roseaux en ballons gigantesques à la ville de Paris : Jeff Koons est l’un de mes produits préférés! On ne se sentira plus les maîtres de nos propres achats!

 

Suprématie des pensées capitalistes sur le partage des espaces? Des broutilles! Choisir l’alternatif, la liberté, l’autre, la zone autonome temporaire : de la faiblesse. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : une intersection qui existe sans être nul part, toujours éphémère mais qui jamais ne se fane, une stupidité instaurée par ceux qui ne peuvent survivre dans notre belle société! La beauté du squat est aussi dans cette vision fugace qui l’anime. Il vient, puis disparaît! Et renaît ailleurs pour mieux s’essouffler. La vie dans le milieu du squat artistique : une nécessité? Ou un effet de mode?

 

 

Une installation au squat la Capela.

La Capela

 

 

Je continue ma déambulation dans les squats artistiques, et découvre un squat qui perdure depuis presque 2 ans maintenant, La Capela, situé dans le 10ème arrondissement de Paris. L’évolution d’un squat, nous l’avons retenu, est une idéologie incertaine, esclave de données externes incontrôlables. Ce lieu de plusieurs centaines de mètres carrés n’est pas une exception. Occupé (oui, occupé, OCCUPÉ!) et dirigé par trois artistes et organisateurs d’évènements, il a résisté à la fermeture et parvient toujours à surprendre le quartier par sa vivacité. Un procès a réussi à tâcher le futur de ce bâtiment quelques instants, mais quelle est la force d’un propriétaire vénal comparé à la puissance énergétique d’un lieu de partage et de culture? La mairie a d’ailleurs perçu cette évidence et s’est jetée, opportuniste de qualité, sur l’occasion : racheter un lieu vivant dans la prévision qu’une idée lui traverse les bureaux et aménage un nouveau projet dans cette structure. En attendant qu’elle émerge, l’espace attire du public, le quartier s’anime, les voisins s’habituent à la présence d’évènements divers, et s’accommodent de ces gens « différents » qui poussent autour d’eux. Que du bénéfice donc. En contrepartie, les squatteurs ont la généreuse autorisation de rester le temps que cette idée épiphanie se pointe.

 

 

Elliot, présent au squat La Capela

Elliot (La Capela)

 

 

Daniel, Ralph et Elliot, les trois compères qui ont ouvert et gèrent ce lieu me reçoivent dans la partie de La Capela qui constitue leur appartement, atelier et salle de rendez-vous. Ils sont atypiques et souriants, mais rappelons-nous que le contraire serait antinomique au squat en lui- même. Lorsque ce mot, « squat », est évoqués, ils me reprennent vivement : « Nous, on essaie de faire un espace culturel, justement pour effacer ce mot « squat ». Au début tu dois te battre, commencer dans la poussière, et enlever tout ça prend du temps, et c’est à partir de ce moment là qu’on essaie d’effacer le squat. » Pour eux, même si la façon d’avoir investi ce lieu est celle qui est utilisée par tous les squatteurs, la transformation qui suit tend vers l’apparat d’un centre culturel : l’espace n’a donc plus de véritable identité de squat. Mais parce qu’elle n’utilise pas non plus le mode de fonctionnement des institutions, La Capela flotte dans un entre-deux qu’il n’est pas correct de nommer ou de codifier.

Alors, centre d’art? Squat artistique? Espace événementiel alternatif?

 

Ça pousse de partout, ça grandit, ça reste, et ça a même des autorisations maintenant! Il faut agir pour ne pas périr à cause de ces pirates dérangés. Certains ont eu la même idée et ont pris les choses en main plus rapidement que moi! Ils ont prit leur courage, leur force, leur batte de baseball, ont laissé leur dignité chez eux et se sont envolés à Aubervilliers, à La Récré. Ce squat, trop artistique, trop ouvert, trop libre, accueillait trop d’évènements et n’a pas pu être délogé par une action en justice. Alors à quoi bon attendre une justice juste? Violences, intimidations, humiliations : voilà des actions qui ont fait leurs preuves et sont efficaces comme l’acide sur la peau!

 

 

squat

 

 

Il est donc indispensable que vous, maintenant, chers férus de la culture alternative, laissiez votre curiosité de côté. N’allez pas rencontrer ces aliens, ces squats artistiques de Paris, dont la liste non exhaustive est répertoriée sur le site Intersquat de Paris.

 

Et si toi, mon cher lecteur adoré, tu n’as pas vu le sarcasme dans mes charmants propos, tu es le bienvenu à ouvrir ton esprit aux charmes de l’art libre!

 

 

 

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