Le fou, ce génie                                    Et vice-versa

En allant voir l’expo Inside Moebius à l’Hôtel des arts de Toulon, il m’est venu une idée à propos de l’artiste qu’elle présente : le génie de ses dessins provient de sa folie.

Tantôt sous le nom de Giraud, dans sa BD Blueberry, tantôt sous son pseudonyme Moebius, il est le dessinateur du rêve le plus schizophrène du 20ème siècle.

 

 

 

 

L’histoire de la folie est bien complexe. Après m’y être plongée dans le détail avec Michel Foucault et son pavé Histoire de la folie à l’Age classique, j’ai appris qu’au quinzième siècle on enfermait les fous au seuil de l’infini, au milieu des océans. Exilés sur des bateaux, ils étaient condamnés à voguer éternellement entre deux terres, dont aucune ne devait jamais leur appartenir.

 

Autrefois, le fou pouvait être intégré à la société. Au titre de sa différence, il était considéré comme un être ayant une réflexion plus profonde. Cette dernière, déclenchée et justifiée par une crise mystique, prenait diverses formes, difficilement descriptibles mais que rassemblait toutes une expérience fondamentale avec l’altérité. Que l’on soit croyant ou athée, on parle toujours de la rencontre avec un autre que soi.

 

En 1560, Thérèse d’Avila aurait reçu par la transvérbération des consignes de Dieu, en conséquence desquelles la spiritualité chrétienne fut modifiée, ses enseignements ont pris de l’importance au fil des siècles. À une époque plus récente, Baudelaire vécut, lui aussi une crise mystique. Dans son poème Correspondances, il fait entendre une nature qu’il représente alors sous une forme allégorique :

 

 “La Nature est un temple ou de vivants pilier

Laissent parfois sortir de confuses paroles ;

L’homme y passe à travers des forêts de symboles

Qui l’observent avec des regards familiers.”

 

 

 

En 1925, Albert Londres se fait passer pour fou et finit par être interné. Il écrira Chez les fous, une nouvelle à charge contre les pratiques violentes encore en usage dans les « asiles d’aliénés ». Obsédé par l’enfermement, il souhaite rendre audible l’inaudible. Il a alors cette formule : “le cri muet des fous”. Par la suite le livre suscitera un vif intérêt qui se traduira par des réformes, tardivement, en 1938, chaque département français se voit obligé de construire une nouvelle structure. On la baptise « l’hôpital psychiatrique ». La Première Guerre Mondiale avait-elle fait trop de fous ?

 

 

Le fou serait le porteur de vérité, celui qui a pris le risque de refuser la pensée moyenne pour se lancer dans l’exploration de la pensée infinie.

 

C’est à la date de l’enregistrement ci-dessous qu’Antonin Artaud, génie littéraire, est à son tour enfermé. Il déclare :  « un aliéné est un homme que la société n’a pas voulu entendre et qu’elle a voulu empêcher d’émettre d’insupportables vérités ». Selon nous, il aurait plutôt été enfermé à cause de sa marginalité, non de sa folie. Il ressortit marqué par cette expérience, ainsi que par ses sympathiques électrochocs quotidiens.

 

En 1947, Artaud rencontre Van Gogh et comprend qu’il n’est pas seul à faire l’expérience de la marginalité. À ses yeux, le peintre tente de recréer le monde d’un œil « extra-lucide ». Selon le poète, Van Gogh n’est pas fou. C’est la société qui l’a rendu malade en le déclarant tel. Par là suite, dans le but d’introduire le corps dans le théâtre, il se met en scène et représente sa propre crucifixion pendant une conférence à la Sorbonne : le public quitta la salle petit-à-petit jusqu’à la laisser quasiment vide.

 

« Vous êtes une fleur unique que la société ne veut pas laisser vivre » – Artaud

 

 

Le fou, cet incompris, peut cependant faire preuve de génie tant qu’ il persévère à faire entendre sa voix à travers l’art. À cet égard il n’existe pas une meilleure manière de faire. Rainer Maria Rilke, célèbre poète de langue allemande, se refusait aux techniques psychanalytiques, par peur de perdre son génie littéraire.

 

Le fou est tour à tour considéré comme :

 

  • un « mauvais sujet » que la société exclut de son fonctionnement,
  • une « faille » dans la raison,
  • ce qui est « autre » en soi (Le Horla, qui à la fois est et possède l’homme),
  • un « décentrement de la personnalité », qui fait appartenir le fou à une autre réalité.

 

 

Le versant satanique

 

Au-delà d’une compréhension de la folie perçue comme l‘œil de Dieu, on l’associe également, et de manière récurrente, au Diable. Au Moyen-âge, on croyait que le fou était celui que Satan possédait pour parler aux hommes.

 

Isidore Ducasse prend le nom de Lautréamont pour écrire les Chants de Maldoror, dans lesquels il s’identifie à une sorte de crise psychique du Diable. Il revit alors le péché originel et revêt le manteau de celui qui fit de la vie humaine un cauchemar. Drôle de XIXème siècle.

 

Le fou parle à l’âme et c’est ce qui nous plaît dans l’œuvre ‘folle’ : son obscurité. Éclairant des névroses, des peurs ou des désirs qu’on ne s’avoue qu’à travers l’art.

 

« La folie a quelque fois le cœur tendre, en nous délivrant de nous-mêmes. » Anne Barratin

 

Il y a certaines œuvres que l’on ne comprend pas, qui provoquent la jouissance artistique grâce à cette obscurité équivoque… Une infinité de sens coexistent. La folie artistique est une sublimation de tout ce qui nous touche : la recherche identitaire, le dédoublement, plus ou moins fort, de la personnalité, la part obscure et agissante de notre Moi intérieur.

 

 

Si l’on part du principe que la norme n’existe pas alors nous sommes tous tarés.

 

 

« Quand la folie est passée dans les masses, c’est aux sages de passer pour fous. » Alfred-Auguste Pilavoine

 

Il y a folie et folie. Folie destructrice et folie créatrice, celle qui fait les génies. Car tous les génies ont un grain de folie… Rimbaud, Nerval, Michaux… Que de noms familiers qui devraient obligatoirement être dans votre liste de lecture !

 

Je vous propose une liste non-exhaustive de films à regarder, histoire de se rassurer sur sa propre santé mentale avant d’aller dormir.

 

 

Texte de Mahaut.

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Par Mahaut Adam
Nov 2017
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