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Fév. 8, 2017

LaLaLand, une love story au pays rêvé d’Emmanuel Macron

Dans la grande lignée du feel-good movie musical ki te fé oublié tou té soussie, le nouveau film de Damien Chazelle s’illustre par ses acteurs en lévitation, son ambition rafraîchissante et un discours existentiel de manager de startup.

 

C’est tout d’abord une scène qui semble péniblement quotidienne : un embouteillage sur une bretelle d’autoroute à Los Angeles. La chaleur, les coups de klaxon, et soudain la musique. Tout s’emballe, chacun sort de sa caisse pour rejoindre une chorégraphie géante, comme c’est mignon, c’est la magie du cinéma, tu reprendras une gorgée de bière ? Passe-moi plutôt le popcorn ! D’entrée de jeu, le pacte est établi : on va s’enjailler les pupilles devant un spectacle qui claque, où l’humeur du récit nous transportera tantôt dans « la vraie vie », tantôt dans le monde enchanté des sentiments et des rêves, propulsés par la musique et la danse, bigger than life.

 

Nous découvrons donc Mia (Emma Stone, littéralement écarquillée), actrice dans ses rêves, serveuse dans la réalité. Mia enchaîne les castings foireux et les soirées hollywoodiennes avec ses amis riches qui travaillent aussi dans le cinéma – avec en filigrane l’idée que fréquenter ces gens l’aidera à devenir une star –. Et puis il y a Sebastian (Ryan Gosling, littéralement lui-même), pianiste passionné de jazz, qui survit grâce à des plans minables et rêve de tenir un club où jouer la musique qu’il aime. Qu’ils tombent amoureux n’étonnera personne. Mais la manière éblouit. Pas tant à cause des mouvements de caméra (la réhabilitation courageuse du plan-séquence ne fera pas oublier les vrais chefs d’oeuvre du genre, de Stormy Weather à Soy Cuba), ni du fait des chorégraphies, ni de la musique (réjouissantes mais loin d’être inoubliables), non : ce sur quoi repose le charme de La La Land, qui emballera le coeur du plus bougon des misanthropes, c’est ce duo d’acteurs en état de grâce. Dirigés de main de maître sur une partition faite de dialogues plus souvent pince-sans-rire que démonstratifs, Stone et Gosling donnent du relief à chaque hésitation et se renvoient la balle dans une chorégraphie du désir aussi entraînante que tous public (en d’autres termes, il n’y a pas de scènes de cul à l’horizon, mais ce n’est pas très grave).

 

L’un comme l’autre vivent les pieds dans le présent mais la tête dans un futur fantasmé, qui ressemble surtout à un sévère conditionnel. Là-dessus repose la sympathie immédiate des personnages : avec Mia et à travers le décor de Hollywood, on se laisse caresser par d’agréables références au cinéma si chouette de nos grands parents, tandis que Sebastian nous raconte autant qu’à sa dulcinée à quel point le jazz d’antan qui coule en lui demeure d’actualité, entrant en résonance quasi-obligée avec un public venu réclamer sa dose d’un cinéma musical devenu trop rare. Mais il faut mettre du beurre dans les épinards, et Sebastian accepte donc de jouer de la musique qu’il n’aime pas et de se compromettre avec un groupe de son époque, tandis qu’il encouragera Mia à écrire ses propres textes et à les interpréter en public. Et comme il faut qu’une dose de fatalité vienne troubler ce beau paysage, leurs rêves finiront par les éloigner l’un de l’autre.

 

 

 

 

C’est là que le film, jusque là sympathique, commence à partir sérieusement en testicules. Dans Les Parapluies de Cherbourg, principale référence revendiquée avec dévotion par Damien Chazelle, c’est la guerre d’Algérie qui sépare les deux personnages, qui se voient entraînés malgré eux, comme dans une tragédie classique, par un destin qui les dépasse. Dans La La Land, les personnages sont les propres acteurs de leur séparation. Conscients que l’amour c’est cool mais que réussir c’est mieux, ayant intériorisé jusqu’au plus profond d’eux-mêmes la logique du patron « winner » qu’est pas là pour rigoler, ils l’appliqueront avec le zèle imbécile d’un manager de McDo à leurs propres vies. Les personnages jusque là forgés avec soin deviennent alors les parfaits petits auto-entrepreneurs de leur parcours fléché existentiel, chacun dans son coin, vendant à la criée les petites singularités de son « caractère » et ses étonnants « skills » sur le marché de la reconnaissance sociale. S’il est vrai que Sebastien pousse Mia à jouer ses propres textes, l’interaction entre les deux personnages s’arrête là. Une fois l’actrice lancée sur la voie unique de sa route vers son objectif, chaque personnage demeurera étanche à l’autre. Dans une apothéose d’aliénation, ils en viendront à reconnaître sur un ton aussi mélodramatique que péremptoire la prétendue nécessité de leur séparation. « Se vendre », dans le film de Damien Chazelle, est une vérité première de la vie humaine, au même titre que « respirer » ou « se nourrir ». Misère.

 

Mais le drame (dans tous les sens du terme) ne s’arrête pas là. (ATTENTION SPOILERS) Le pire, c’est qu’ils y arrivent, chacun de son côté, à leur petit objectif personnel immuable fixé par avance et dont ils n’ont jamais dévié. Mieux encore, cette curieuse manière d’envisager l’existence sera validée, par Mia et Sebastian, lors de leur reconnaissance silencieuse et distante, cinq ans après. Fièrement. Comme on assène une leçon. En d’autres termes, il suffit de vouloir pour obtenir, du moment qu’on est suffisamment un excrément humain pour sacrifier ce qu’il peut y avoir de beau dans le fait de vivre. Transmis à toi, jeune (25% de chômage, et 50% de travail précaire parmi les bienheureux actifs) : si tu ne t’en sors pas, c’est que t’as pas fait les sacrifices nécessaires ! Bouge-toi, feignasse ! Tu te plains de ne pas gagner de biff alors que tu passes avec l’être aimé le temps que tu pourrais dédier à la promotion de toi-même comme produit de consommation ? Bouh, t’es naze !

 

 

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Quelque part, si La La Land a bien un mérite, c’est celui d’illustrer la régression culturelle de notre époque. Ecrasés sous le poids d’un passé admirable que nous ne pouvons que nous efforcer d’imiter, il ne nous est offert pour perspective que d’apprendre à faire de nous-mêmes de bons articles de magasin. Évidemment, le film semble y trouver son compte. Mais on peut également choisir de laisser cette mentalité toute naze à des banquiers sous cocaïne dont c’est LE PROJEEEEET, et trouver le moyen de vivre quelque chose qui soit chouette et n’appartienne qu’à nous…

 

On pourrait également gloser sur le fait que le film parle de jazz en laissant les personnages à la peau noire au second plan (soit ils sont vendus, soit ce sont des reliques), démonter pièce par pièce les ressorts d’une esthétique “cupcake” périmée d’avance ou encore faire des tartines sur les quatorze nominations obtenues aux Oscars, confirmation des ambitions très limitées du film de Chazelle. S’interroger : vaut-il mieux voir La La Land ou un écran blanc ? Mais le plus simple est encore de s’en tenir au pari du film : ce merveilleux feel-good movie fait-il du bien ? Quelques litres de vomi plus tard, la réponse me semble aller de soi…

 

 

LaLaLand, une love story au pays rêvé d’Emmanuel Macron

Fév 2017

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