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Jan. 30, 2017

À tous les écrivains, sauf quelques-uns.

 

Arrêtez tout ! Vous êtes mauvais.

 

7 septembre. Après la publication de Crue chez Gallimard, Philippe Forest annonce les dates de sa tournée de promo pour octobre. Oui, on s’en fout. Personne ne le connaît. Il a –officiellement– 560 concurrents en librairie pour la rentrée et 1,4 millions de français auraient achevé leur premier roman.

 

Décidément septembre fut le mois du trop-plein. Les fleuves imaginaires, nourris des orages de l’été, les rayons des librairies regorgeant de petites gouttes d’eau prêtes à mettre le feu aux poudres. Sans nous en apercevoir, nous sommes passés à deux doigts du débordement. Et donc, Philippe Forest publiait Crue chez Gallimard. Ledit débordement n’a pas encore eu lieu au cours des lectures publiques. On reste sur une petite crue.

 

À vous tous qui, à l’inverse, n’avez rien publié chez Gallimard : bravo. Je partage votre dépit, mais avez-vous songé un instant à cerner un problème plus intéressant que l’évacuation de la paranoïa par la culture du quinoa en hydroponie ?

Si vous ne faites pas partie de ce groupe, peut-être vous ai-je entendu dire : “Oui, mais l’été étant indien je me consacrai mêlant les thés et temps indiens aux Gemmes & Con Sacré mes laids tétons indiens…” Soit !

Donc, vous avez lâché l’affaire. Je ne vous jette pas la pierre. L’époque est troublée, toute manifestation d’intelligence est à double-tranchant. Que le monde des salons littéraires ait gardé ses portes closes est une très bonne chose. Continuons à pourchasser notre prix Nobel fictif, au rayon fromage râpé, en compagnie de Philippe Forest.

 

Philippe :

 

“Un poète dit : en cas d’incendie, avec moi, j’emporterais le feu.”

 

Je doute qu’il en dorme mieux la nuit. Cet homme explore la perte et le deuil inconsolable à la troisième personne. Mais c’est beau.

 

Philippe se rétracte immédiatement pour susurrer chicots noircis et cigare aux lèvres que le mot, celui du poète, n’est rien “tant qu’on n’a pas produit la preuve que l’on est à la hauteur de ce qu’il signifie”. Comment vous dire. Une telle révélation me chamboule. La poésie n’est pas dans la performance ? Ah oui, non. Quelqu’un pensait que si ? Ah oui, non. Ceci dit, convoquer le feu purificateur quand (1)on utilise un média papier pour (2)publier un livre sur la montée des eaux, ça ne relevait pas de la fulgurance sacrée, j’aurais dû tiquer. En dressant ainsi le poète contre sa poésie, l’essentiel est dit, comme si Forrest se vengeait de ne jamais atteindre l’entre-deux de l’auto-fiction en liquidant à la fois le poète roi et le petit prince du moi. Nous n’avons pas affaire à un magicien, ni d’ailleurs à son censeur qui s’écrie « poesia es para maricones ! » chez Jodorowsky. Ici, le constat est inverse, puisque tu veux être poète, sois un surhomme. Tu n’as qu’une parole. Et si ta maison brûle, tout Prométhée que tu sois, casse-toi. Évidemment, la parabole a ses limites, le feu ici évoqué n’est pas destiné à s’opposer à l’eau, sujet presque animé du livre.

Revenons rapidement sur cette idée d’être à la hauteur. Pour atteindre à la même altitude que ses mots, dans le temps de l’écriture, le poète se situerait donc dans le domaine permanent de la promesse. De promesses, Philippe, ne valent que celles entre deux personnes, celles que nous nous faisons à nous-même, nous savons dans l’instant même si nous les tiendrons ou non. La promesse poétique recèle cet espoir permanent que le monde qu’elle décrit viendra au jour, elle le fait exister en droit. Que le poète doive apporter la preuve de son espoir..? Peut-être lis-tu trop de polars, la poésie ne désigne pas de coupable, elle cherche des héros.

 

« Entre le chagrin et le néant, je choisis le chagrin. »

Il faut l’avouer, Philippe ne flotte pas dans la joie, il plonge dans la mélasse avec son pote Faulkner.

 

Et pourtant, malgré le chagrin immense qui traverse ton œuvre, je reste persuadé que tu le mérites ce prix Nobel, Philippe. Comme tout le monde. Prix Nobel de physique pour avoir évalué à vue d’oeil l’intrication quantique de la vaisselle sale qui traîne dans l’évier. Prix Nobel de ping-pong à la personne qui lit cet article. Prix Nobel de prix Nobel à celui qui attribuera le meilleur prix Nobel.

 

Ne nous égarons pas, uppercut : quelle est alors la mission du poète Philippe ? Je vous épargne une mauvaise lecture car la morale coule de source : aucune. Pas de mission pour les faux prophètes. Le monde disparaît et nous avec. Sous l’eau.

 

Mes pauvres compagnons d’infortune, tenez-le-vous pour dit, il ne nous reste plus qu’à regarder le plafond pendant des heures en essayant d’échapper à la culpabilité d’avoir tout gâché. Ceci dit, un plafond, c’est fascinant. C’est blanc. C’est plat. Comme si l’animal qui se prénomme architecte, ayant peur que le ciel ne lui tombe sur la tête, avait disposé une page blanche au-dessus de celle-ci, de manière à y coucher mentalement de plus rassurantes divagations. Prix Nobel d’honneur à Bukowski qui y trouvait son réconfort.

 

 

“Sometimes when everything seems at

its worst
when all conspires
and gnaws
and the hours, days, weeks
years
seem wasted –
stretched there upon my bed
in the dark
looking upward at the ceiling
I get what many will consider an
obnoxious thought :
it’s still nice to be
Bukowski.”

― Charles BukowskiYou Get So Alone at Times That it Just Makes Sense

 

À tous les écrivains, sauf quelques-uns.

Jan 2017

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